Page d'histoire : Naufrage de La Méduse Banc d'Arguin (océan Atlantique), le 2 juillet 1816 vers 15 heures

Le Radeau de la Méduse,
huile sur toile de Théodore Géricault,
Salon de 1819, Paris, musée du Louvre.
© Photo RMN – Grand Palais (musée du Louvre) / Daniel Arnaudet

Immortalisé par Géricault, le tragique épisode du radeau n’est que l’aboutissement d’une chaîne d’erreurs. La première étant la nomination de l’ancien émigré Hugues Duroy de Chaumareys à la tête d’une expédition chargée de rétablir la présence française dans sa colonie du Sénégal que les Anglais doivent restituer en vertu du traité de Paris.

Ce royaliste resté vingt-cinq ans sans naviguer est incapable de diriger une flottille. Pas même sa frégate La Méduse qui s’échoue le 2 juillet, au large de la Mauritanie, sur un banc de sable connu qu’il n’a pas su contourner. Au lieu de profiter du beau temps pour conduire passagers et marchandises jusqu’à la côte, on perd trois jours à tenter de renflouer le navire. Lorsqu’arrive une tempête, Chaumareys décide d’évacuer les quatre cents occupants de La Méduse dans des canots et sur un radeau qu’il est prévu de remorquer. Une vingtaine de marins, une dizaine de civils et plus de cent vingt militaires s’y entassent, de l’eau jusqu’à mi-cuisses. Trop chargé et bientôt abandonné, le radeau dérive…

L’aspirant Coudein fait dresser mât et voile et l’aide-chirurgien Savigny distribue biscuit et vin. La nuit venue, beaucoup d’hommes tombent à la mer ou s’y jettent par désespoir. Dès le lendemain le biscuit est épuisé et le vin rationné. Au cours de la seconde nuit, un tonneau de vin est laissé à dessein sans surveillance. Des soldats s’en emparent et s’enivrent. Il en résulte des affrontements sévèrement réprimés : seuls à détenir des armes, Savigny et quelques gradés poussent des dizaines de soldats à la mer. Plus tard, faute de nourriture, l’aide-chirurgien suggère de prélever des tranches de viande sur les cadavres ensanglantés pour les manger fraîches ou séchées au soleil.

Donnant l’exemple, il est imité par quelques officiers mais la plupart des soldats y répugnent et préfèrent ronger du cuir ou manger crus les poissons volants qui se sont coincés sous le radeau. S’écoulent ensuite plusieurs journées calmes mais le cauchemar continue : l’ardeur du soleil attise la soif et ravage les cerveaux. Le nombre des survivants ne cesse de se réduire au cours de deux autres séries de combats. Le 12 juillet, ils sont encore trente mais il ne reste plus qu’une seule barrique de vin tiède. Savigny restreint encore les rations et propose de jeter à la mer blessés et mourants pour économiser leur breuvage nourricier.

Après onze jours de dérive au gré des courants, ils ne sont plus que quinze. La folie rôde, les requins aussi. Le 17 juillet, ils aperçoivent les voiles de L’Argus qui ne les cherchait plus. Une scène devenue mythique puisqu’aux hommes dépenaillés, amaigris, barbus et hagards qu’ils étaient, Géricault a substitué les corps magnifiquement charnels que, du monde entier, l’on vient admirer au Louvre.

Michel Hanniet
écrivain

Source: Commemorations Collection 2016

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