Page d'histoire : Jacques Villon Damville (Eure), 31 juillet 1875 - Puteaux (Hauts-de-Seine), 9 juin 1963

L'orsqu’il meurt, âgé de 87 ans, Jacques Villon (né Gaston Duchamp) est au comble de sa notoriété. Il vient d’être promu grand officier de la Légion d’honneur et la ville de Puteaux où il avait son atelier depuis 1906, à côté de celui de Kupka, organise des funérailles officielles. Georges Dardel, sénateur-maire, convie par affiches la population à lui rendre hommage et, tandis qu’un escadron rend les honneurs, une musique militaire accompagne l’arrivée du cercueil et de la famille, conduite par Marcel Duchamp, dans l’église où l’abbé Morel prononce une allocution, célébrant sa faculté d’“ émerveillement ”. Les éloges funèbres lui sont rendus par Gaëtan Picon, directeur général des Arts et des Lettres, par le sénateur-maire, et par Jean Cassou, directeur du Musée National d’Art Moderne. Insistant sur le “ rôle capital ” de Villon dans la naissance du cubisme, Jean Cassou affirmait la subtilité du “ géomètre ”, l’accord de la “ poétique ” et de la “ musique ” d’un artiste qui s’imposait humble et pur. Il soulignait aussi la fécondité d’un milieu familial où il fut l’aîné d’une fratrie alors présente avec Suzanne Duchamp (née en 1889), peintre et femme de l’artiste dadaïste Jean Crotti, et Marcel Duchamp (né en 1887), mais qui avait compté aussi Raymond Duchamp-Villon (1876- 1918), l’un des meilleurs sculpteurs du siècle, emporté par une typhoïde contractée au front.

Formé à l’ellipse ironique du dessin satirique (1895-1910), Villon contribua à aiguiser l’intelligence de ses deux frères et c’est avec eux qu’il fit, en 1911-1912, de son atelier de Puteaux, avec Gleizes, Metzinger, Le Fauconnier, La Fresnaye, puis Picabia et Léger, l’un des lieux de fermentation du cubisme d’où surgit La Section d’Or, la conception de la “ Maison Cubiste ”, puis une participation active aux côtés de Walter Pach lors de l’organisation de l’exposition de l’“ Armory Show ” (1913) où il connut lui-même un grand succès.

Le traumatisme de la Grande guerre encourage ses spéculations sur l’analyse du volume. Souvent dédiés à l’œuvre de son frère Raymond, ses dessins, gravures (domaine où il excelle particulièrement) et peintures, le conduisent à l’abstraction. En 1921, il expose pour la première fois, à New York, à la Société Anonyme de Katherine Dreier. Ses meilleurs collectionneurs seront américains. Malgré un passage à “ Abstraction- Création ” (1932-33), il se sent de plus en plus isolé, poursuivant ses expérimentations sur la forme et la couleur. En 1942, Louis Carré lui achète la totalité de ses peintures et s’engage à défendre son œuvre qui s’en trouve, pour une phase ultime, comme libérée, s’épanouissant dans des œuvres singulières par la vivacité de ses couleurs et l’intelligence de ses compositions. Enfin célébré, en France et à l’étranger à l’occasion de nombreuses expositions, il reçoit les plus hautes distinctions internationales.

Dès 1964, les signes d’une rupture culturelle annoncent l’oubli croissant que connaîtra une carrière d’artiste qu’il est temps de reconsidérer pleinement.

Germain Viatte
conservateur général honoraire du patrimoine

Source: Commemorations Collection 2013

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