Article : Mécénat et archives

registre des comptes du château d'Amboise, acquis par l'Etat grâce au mécénat d'entreprise,

A.N., KK//332/B

Définition et législation

La pratique du mécénat, largement implantée dans le secteur des musées, bénéficie  encore peu au secteur des archives : cette démarche généreuse qui consiste, de la part d’entreprises ou de particuliers, à céder (nonobstant certaines contreparties fiscales ou autres) à l’État ou à une collectivité un document ou un fonds d’archives, s’inscrit dans une démarche d’enrichissement patrimonial des collections publiques.

Il existe diverses formes de mécénat :

  •  le mécénat financier, c’est-à-dire grâce à des dons en numéraire ;
  •  le mécénat en nature, par le don d’un bien immobilisé (mobilier, véhicule, archives…), de fourniture de marchandises en stock ou la mise à disposition de moyens matériels ;
  •  le mécénat en compétences : mise à disposition de personnel par une entreprise.

Et différents types de mécènes : particuliers ou entreprises.

Quelques subtilités de langage : mécénat, parrainage et échange marchandises

  • Le mécénat consiste dans  le « soutien matériel apporté, sans contrepartie directe de la part du bénéficiaire, à une œuvre ou à une personne pour l’exercice d’activités présentant un intérêt général ».
  • Le parrainage (ou sponsoring) est le « soutien matériel apporté à une manifestation, à une personne, à un produit ou à une organisation en vue d’en retirer un bénéfice direct ». Les opérations de parrainage sont destinées à promouvoir l’image du parrain (personne qui apporte le soutien) et comportent l’indication de son nom ou de sa marque.

Ces deux actions ont pour points communs : d’avoir comme support une activité touchant au domaine culturel, sportif, scientifique , et de devoir financer cette activité ; de financer  indifféremment en numéraire ou en nature ; sans qu’il y ait d’obligation de rédiger un contrat, sachant qu’une convention écrite fixant précisément la nature et l’étendue des obligations mises à la charge de chacun des partenaires demeure en tout état de cause préférable.

En revanche, elles se distinguent néanmoins par les aspects suivants :

  • le mécénat est un acte gratuit sans contrepartie directe : le mécène ne s’engage pas dans l’espoir d’en retirer un avantage commercial, mais plutôt en qualité de « citoyen responsable » / le parrainage constitue un acte à titre onéreux dont la contrepartie est la publicité que l’organisme parrainé va effectuer en faveur du « parrain » et/ou de ses marques produits – publicité (ou contrepartie) qui doit être proportionnelle au versement effectué.
  • le mécénat valorise l’image institutionnelle du mécène / le parrainage vise à la promotion de produits, de marques, d’entreprises.
  • le mécénat concerne généralement des projets / le parrainage porte davantage sur des événements ponctuels et/ou exceptionnels.
  • le mécénat concerne aussi bien le secteur marchand que les particuliers / le parrainage est en principe l’apanage des entreprises ou des sociétés.
  • sur le plan fiscal (du point de vue de l’entreprise, car les particuliers ne sont pas concernés par le parrainage) : la charge de mécénat est réintégrée dans le bénéfice imposable de l’entreprise mais ouvre droit à une réduction d’impôt de 60 % des versements effectués (dans la limite de 0,5 %) / la charge de parrainage est déductible (dans les mêmes conditions que les autres charges) du bénéfice soumis à l’impôt sur les sociétés.

Le mécénat se traduit toujours par une « charge d’impôts » sensiblement inférieure à celle générée par le parrainage.

  • L’échange marchandises :

Il s’agit d’un troc de biens ou de services à valeur égale, souvent dans le cadre d’un échange de visibilité. L’échange marchandise ne nécessite aucun mouvement financier si les produits et services échangés ont la même valeur; dans le cas inverse, une soulte est prévue comme compensation monétaire.

Acteurs et procédures

Avant de s'engager dans une démarche de recherche de mécénat, il convient de vérifier que l'organisme est éligible au mécénat ouvrant droit, pour le donateur, à un avantage fiscal.

Le bénéficiaire doit être un organisme d'intérêt général, condition remplie si :

  • L'activité est non lucrative et non concurrentielle. À noter que l'assujettissement de l’activité à la TVA et autres impôts commerciaux exclut a priori du champ de l'éligibilité au mécénat ; toutefois, l'activité d'un organisme peut être "sectorisée" : dans ce cas, les activités non assujetties à la TVA peuvent être compatibles avec des actions de mécénat. Ne sont pas éligibles au mécénat les organismes constitués en sociétés telles que SA, SCOOP, SARL, etc. qui sont des organismes à but lucratif au sens fiscal du terme.
  • La gestion est désintéressée, c’est-à-dire que l'activité ne profite pas à un cercle restreint de personnes.

Le bien « mécéné » doit également être d'intérêt général : condition remplie si l'œuvre revêt un caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial, culturel ou concourant à la mise en valeur du patrimoine artistique, à la défense de l'environnement naturel ou à la diffusion de la culture, de la langue ou des connaissances scientifiques françaises.

Aux termes de la loi du 1er août 2003, un organisme peut demander à la Direction des Services fiscaux du département où son siège social est établi, s’il relève bien des catégories bénéficiant du mécénat : cette demande de « rescrit fiscal » doit être formulée par écrit, en fournissant tous éléments utiles pour apprécier l’activité de l’organisme.

Sous réserve de vérification au cas par cas, les organismes éligibles à des actions de mécénat sont :

  • L’État, les collectivités locales et leurs établissements (voir l'article 28 de l'instruction fiscale 4-C 5 04 de juillet 2004), et donc les services d’archives en dépendant,
  • Les organismes d’intérêt général (en particulier les associations loi 1901 dont la gestion est désintéressée et l’activité non lucrative et non concurrentielle, et dont l’activité ne profite pas à un cercle restreint de personnes),
  • Les fondations et associations reconnues d’utilité publique, et les fondations abritées,
  • Les fondations d'entreprise,
  • Les fonds de dotation,
  • Les musées de France (au sens de la loi 2002-5 du 4 janvier 2002 relative aux musées de France),
  • La plupart des monuments historiques privés (pour leurs travaux de restauration sur les parties protégées, ou leurs travaux d’accessibilité aux personnes handicapées),
  • Les organismes dont la gestion est désintéressée et qui ont pour activité principale la diffusion du spectacle vivant ou l’organisation d’expositions d’art contemporain (à l’exclusion des organismes constitués en sociétés, exception faite des sociétés de capitaux dont le capital est entièrement public),
  • Certains établissements de recherche ou d’enseignement publics ou privés agréés d’intérêt général.

Pour les particuliers

La réduction d'impôt est égale à 66 % des sommes versées, retenues dans la limite annuelle de 20 % du revenu imposable. Ce seuil est doublé par rapport à la situation antérieure. Le taux de réduction a été porté à 75 % (dans la limite forfaitaire de 488 € à compter de l'imposition des revenus de l'année 2007) pour les versements effectués par des particuliers au profit d’organismes sans but lucratif procédant à la fourniture gratuite de repas à des personnes en difficulté, qui contribuent à favoriser leur logement ou qui procèdent à titre principal, à la fourniture gratuite de soins (article 200-1 ter du CGI).

En outre, si le plafond de 20 % des revenus est dépassé, le bénéfice de la réduction peut être reporté sur les 5 années suivantes.
À noter que les dons peuvent être des sommes d'argent, mais aussi des dons en nature (par exemple, des œuvres d'art) y compris « l'abandon exprès de revenus et produits ».

Les contreparties constituent un avantage offert au donateur en plus de la réduction d'impôt : remise d’invitations (à l’inauguration, à une visite guidée…), tickets gratuits et/ou  « menus biens » (catalogues, épinglettes, cartes de vœux, goodies divers…). La valeur de ces contreparties doit demeurer dans un rapport de 1 à 4 avec le montant du don, c’est-à-dire qu’elle ne doit pas dépasser 25 % de ce montant. Dans le cas du mécénat des particuliers, elles ne doivent pas dépasser la limite forfaitaire de 65 € depuis le 1er janvier 2011 (BOI 5 B-10-11 du 11 mai 2011).

Pour bénéficier de l’avantage fiscal prévu à l’article 200 du code général des impôts, le donateur doit joindre à la déclaration de revenus des pièces justificatives attestant le montant total, la date du versement ou de la remise du bien et l’identité du bénéficiaire –justificatifs non requis en cas de déclaration via Internet, mais à conserver en cas de demande de l’administration fiscale.

La loi n°2007-1223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat (dite « loi TEPA »), article 16, a modifié l’article 885-0 V bis du CGI pour permettre aux redevables de l’ISF d’imputer sur leur cotisation, dans la limite annuelle de 50 000 €, 75% des dons effectués au profit notamment des fondations reconnues d’utilité publique et des établissements de recherche ou d’enseignement supérieur ou d’enseignement artistique publics ou privés, d’intérêt général, à but non lucratif.

Pour en savoir plus, voir l'article "Dons et legs".

Pour en savoir plus, voir l'article "Dations en paiement".

Enfin, les dons destinés à un projet soutenu conjointement par la Société des Amis des Archives de France et la Fondation du patrimoine sont éligibles à une réduction d’impôt sur la fortune à hauteur de 75 % du montant versé et dans la limite de 50 000 € (article 885-0 V bis du CGI).

Pour les entreprises

La réduction d’impôt est égale :

  • à 60 % du montant du don effectué en numéraire, en compétence ou en nature jusqu'à 2 millions d’euros de dons annuels ;
  • à 40 % du montant du don effectué en numéraire, en compétence ou en nature au-delà de 2 millions d’euros de dons annuels (sauf exception).

Le plafond annuel des dons ouvrant droit à l'avantage fiscal est de 20 000 € ou de 0,5% du chiffre d'affaires (HT), lorsque ce dernier montant est plus élevé. En cas de dépassement de ce plafond, il est possible de reporter l’excédent de réduction d'impôt au titre des cinq exercices suivants.

À souligner que le financement par une entreprise de l’acquisition d’un bien culturel reconnu « trésor national » [1] ou « œuvre d’intérêt patrimonial majeur » au profit d’une collection publique ouvre droit à une réduction d’impôt égale à 90 % du montant du don, dans la limite de 50 % de l’impôt dû.

Quelques exemples

Les archives Turgot

Ce fonds d’archives, à tous égards exceptionnel, compose un ensemble important (plus de 14 000 pages, soit 11 mètres linéaires) de documents historiques de tout premier plan allant du Moyen Âge au XIXe siècle, conservé pendant plus de deux siècles dans la famille : on y trouve près de 880 pages de papiers personnels et de travail annotés, d’Anne Robert Jacques Turgot (1727-1781), intendant du Limousin puis contrôleur général des finances de Louis XVI, père de la pensée économique française, mais aussi les archives émanant d’autres grandes figures familiales, notamment son père Michel Étienne Turgot (1690-1751), prévôt des marchands de Paris, commanditaire du fameux « plan Turgot », et son frère Étienne François Turgot (1721-1789), gouverneur de Guyane sous Choiseul, en charge de l’expédition de Kourou.

Parvenu quasiment intact jusqu’à nous, cet ensemble illustre la place de la France dans l’histoire de la pensée économique moderne : synthétisant les idées économiques de Gournay et de Quesnay, Turgot y apparaît comme l’un des précurseurs des réformes sociales et économiques visant à transformer la monarchie française avant la Révolution. Gestionnaire reconnu et économiste visionnaire, Turgot a été toute sa vie au contact des philosophes et des réformateurs de l’Europe entière : on trouve dans ce fonds les échanges avec les plus grands esprits du Siècle des Lumières, tels que Voltaire, Diderot, Hume, Maurepas, Necker, Malesherbes, Lavoisier, Jussieu, Gustave III de Suède...

Ces manuscrits constituent donc une source d’informations unique sur la pratique administrative de l’époque et les processus décisionnels au sein de la royauté d’Ancien Régime, ce qui en rendait le maintien au sein du patrimoine national essentiel pour la recherche et l’histoire nationale : classées comme « objet d’intérêt patrimonial majeur » par la Commission consultative des trésors nationaux en octobre 2014, ces archives proposées par la société Sotheby’s ont été acquises pour le prix de 8,5 M€, grâce au mécénat exclusif de la Banque de France, et au profit des Archives nationales de Paris.

Le registre des comptes des travaux du château d’Amboise pour les années 1495-1496

Exécuté entre 1496 et 1498 sous le règne de Charles VIII et composé de 284 feuillets de parchemin, ce registre témoigne de l’un des plus importants chantiers de la première Renaissance française, et décrit l’ensemble des travaux et matériaux nécessaires à la construction et à la décoration du château d’Amboise, en permettant notamment d’identifier les artisans ayant travaillé à son édification.

Unique compte encore en main privée relatif à la construction du château d’Amboise, il était complémentaire d’un autre registre conservé aux Archives nationales concernant l’ameublement du château de 1493 à 1496 : il était de ce fait essentiel de pouvoir réunir ces deux registres afin de reconstituer l’ensemble des travaux réalisés par Charles VIII à Amboise.

Cette acquisition au bénéfice des Archives nationales pour le prix de 90 000 € a pu être faite grâce au mécénat de la société AXA ; une souscription publique lancée en début 2015 sous l’égide de la Fondation du patrimoine et avec l’appui de la Société des Amis des Archives de France a permis de faire restaurer ce registre.

Textes de référence

De très nombreux textes sur le site du Ministère de la Culture, documentation et textes juridiques.

À citer en particulier :

Les articles 200, 238 bis, 238 bis-O A/bis-O AB/bis AB, et 885-0 V bis A , 1131 et 38 nonies de l’annexe III du Code général des Impôts (CGI).

Loi sur le développement du mécénat n°87-571du 23 juillet 1987.

Loi relative au mécénat, aux associations et aux fondations n° 2003-709 du 1er août 2003 dite « loi Aillagon ».

Charte du développement culturel 2017.

[1] On appelle trésors nationaux les biens culturels de haute valeur patrimoniale dont l’exportation porterait atteinte à l’intégrité du patrimoine national. Ils bénéficient de la protection reconnue aux biens relevant du domaine public de l’État ou des collectivités territoriales et sont de ce fait, imprescriptibles et non exportables, sauf à titre temporaire. Cette notion  a été intégrée au Code du patrimoine (art. 111.1)après adoption de  la loi du 31 décembre 1992, relative aux produits soumis à certaines restrictions de circulation: cette dernière a défini comme trésors nationaux les biens appartenant aux collections publiques, c’est-à-dire les archives publiques, ainsi que les archives privées entrées dans le domaine public par achat, dation ou libéralité, les biens classés en application du Code du patrimoine (lois de 1913 sur les monuments historiques et de 1979 sur les archives), les autres biens enfin, qui présentent un intérêt majeur pour le patrimoine national en raison de leur haute valeur artistique ou historique, et dont l’exportation n’a pas été autorisée.

Thèmes :

Archives privées

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