Article : Centre de règlement des dommages de guerre de Paris. Dossiers de dommages de guerre mobiliers (19780332)

Identification du fonds

Identification du service

Archives nationales

Référence

19780332/2-19780332/153

Intitulé du fonds

Centre de règlement des dommages de guerre de Paris. Dossiers de dommages de guerre mobiliers

Dates extrêmes

1942-1966

Importance matérielle

152 boîtes (environ 24 mètres linéaires)

Description du fonds

Nom du producteur du fonds

Ministère de la Construction. Centre de règlement des dommages de guerre de Paris

Histoire administrative du producteur

La France connaît au cours de la Seconde Guerre mondiale des destructions sans précédent. L’État français s’inspire des principes inscrits dans la loi du 17 avril 1919 (dite « Charte des sinistrés ») et de l’organisation administrative antérieure pour créer, par la loi du 11 octobre 1940, le Commissariat technique à la Reconstruction immobilière, en charge de l’indemnisation des sinistrés. La Délégation générale à l’Équipement national, instituée par la loi du 23 février 1941, se voit confier la planification des travaux d’urbanisme et le relèvement de l’appareil productif, tandis que la loi du 12 juillet 1941 vient compléter les dispositions relatives à la réparation des dommages de guerre. Le bilan humain et matériel s’alourdit encore sous l’effet des bombardements alliés et de la retraite des troupes allemandes : en 1945, la France compte cinq millions de sinistrés. Aux destructions immobilières s’ajoutent spoliations et dommages mobiliers. À la Libération, le Commissariat général aux dommages de guerre poursuit, assisté de services départementaux, l’instruction des dossiers d’indemnisation commencée sous le régime de Vichy. Le décret du 16 novembre 1944 crée le ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme, dont les attributions sont précisées dans l’ordonnance du 21 avril 1945. En 1949, le Commissariat général aux dommages de guerre disparaît au profit de la direction des dommages de guerre, qui est rattachée à ce ministère. Elle sera remplacée par la sous-direction de la liquidation des dommages de guerre, demeurée en activité de 1965 à 1975.

L’ordonnance du 8 septembre 1945 assimile les dommages d’occupation aux dommages de guerre, permettant aux particuliers dont les biens ont été détruits ou enlevés à la suite de réquisitions, de saisies ou de pillages de prétendre à une indemnisation. Il convient de souligner que les victimes de persécution sont traitées à l’instar des autres demandeurs par le ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme. La loi du 28 octobre 1946 proclame « l’égalité et la solidarité de tous les Français devant les charges de la guerre » et affirme le droit à la réparation intégrale des « dommages certains, matériels et directs causés aux biens immobiliers ou mobiliers par les faits de guerre dans tous les départements français », tout en posant des conditions très restrictives à l’indemnisation des étrangers. Le droit à l’indemnité est reconnu aux seuls sinistrés qui reconstituent effectivement leurs biens. Son montant est calculé sur la base de la valeur des biens à la date du sinistre et de divers autres critères tels que, pour les dommages mobiliers, la catégorie des meubles et la composition du foyer. Les demandes, qui affluent au lendemain du conflit, sont examinées par ordre de priorité. Le délai de forclusion, d’abord fixé au 1er janvier 1947, sera porté au 5 juillet 1952. Trois millions de dossiers ont ainsi été instruits entre 1944 et 1985 pour les seuls dommages mobiliers : 1 785 000 concernent du mobilier familial et 1 250 000 des biens dits « d’usage courant » qui ne sont pas destinés à meubler ou à orner les appartements : armes à feu, matériel de pêche ou de camping, etc.

Questionnaire du ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme comprenant l’identité du demandeur et un résumé des dommages subis, sans date. © AN, 19780332/67

Les services départementaux du ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme traitent les demandes relatives aux dommages mobiliers survenus dans leur ressort géographique. Chargés d’évaluer les biens, d’indemniser les sinistrés et d’arbitrer les litiges, ils ont employé jusqu’à 170 000 agents. Ils ont été supprimés à mesure de la clôture des dossiers, l’activité restante étant transférée à un centre de règlement doté d’une compétence interdépartementale. Au 31 décembre 1961 ne demeurent que quinze services départementaux et onze centres de règlement dont celui de Paris, qui emploie 2 700 agents et couvre les départements de la Seine, de la Seine-et-Oise, de la Seine-et-Marne et de l’Eure-et-Loir. En 1964, il est le plus important des six centres de règlement subsistants, avec un ressort qui s’étend sur 55 départements. Par une circulaire du 6 janvier 1976, le centre de règlement des dommages de guerre de Paris, qui compte toujours une vingtaine d’agents, prend le nom de centre national de règlement des dommages de guerre. Celui-ci est supprimé en 1985. Pendant l’année qui précède sa fermeture, quatre agents œuvrent à la liquidation et à l’archivage des dossiers.

Présentation du contenu

Les dossiers de dommages de guerre mobiliers réunis sous le numéro de versement 19780332 portent la référence RB (pour « Reconstitution des biens »), suivie des sigles DOM (quelquefois M) ou, plus rarement, MUC, qui désignent respectivement le « Mobilier familial enlevé par l’occupant » et les « Meubles d’usage courant ». Classés par catégorie de biens, puis par ordre numérique, ils concernent en majorité des dommages survenus à Paris et en région parisienne, ainsi qu’à l’étranger. Les demandeurs sont essentiellement des personnes éligibles à la loi Brüg, des familles juives notamment, et des personnalités de tous horizons, futur président de la République ou ancienne Miss France. La plupart des demandes font suite au pillage d’appartements dont les propriétaires ou les locataires étaient absents, mais certaines émanent des diplomates en poste dans des pays envahis par l’Allemagne, et de professions libérales, des médecins qui avaient leur cabinet à domicile par exemple.

Le pillage des appartements juifs commence dès l’hiver 1941 dans les régions occupées de l’Est de la France. Le 25 mars 1942, les forces d’occupation créent la Dienststelle Westen, confiée à Kurt von Behr. Son personnel et ses locaux, sis au 54 rue d’Iena à Paris, sont distincts de ceux de l’Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg (ERR), pré-existant. Au début de l’année 1942, le pillage des appartements vacants, dans le cadre de la Möbel Aktion (« Action Meubles »), en contravention de toutes les règles de droits, devient systématique. Il vise les juifs étrangers et français, internés, arrêtés pour des délits, expulsés en zone libre ou émigrés. Au printemps 1944, il s’étend au Sud de France, dans des proportions bien moindres toutefois. Le bilan de la Dienststelle Westen s’élève, le 31 juillet 1944, à 69 619 appartements pillés en France, en Belgique et aux Pays-Bas. On estime que les deux tiers de ces appartements se situaient sur le territoire français. Les biens spoliés sont d’abord dirigés vers des centres de triage, le camp « Lévitan », le camp d’Austerlitz, l’hôtel Cahen d’Anvers, au n° 2 rue Bassano et le n° 60 rue Claude Bernard. Des entreprises de déménagement sont réquisitionnées à cet effet à partir de l’été 1943 et jusqu’en 1944. Les meubles de valeur sont ensuite envoyés en Allemagne pour y être distribués aux sinistrés. Les objets d’art et les instruments de musique, confiés à l’ERR et à sa brigade spécialisée, le Sonderstab Musik, sont rassemblés en divers lieux dédiés. La provenance des biens n’est pas renseignée, c’est pourquoi à la Libération les restitutions sont infimes, et les biens tombés en déshérence généralement vendus au profit du Domaine.

Votée par la République fédérale allemande le 19 juillet 1957 et amendée à plusieurs reprises, la loi Bundesrückerstattungsgesetz, dite « Brüg », s’applique aux biens spoliés en République fédérale d’Allemagne et à Berlin, mais aussi à ceux transférés vers ces territoires. Le ministère de la Reconstruction et du Logement s’engage à communiquer aux demandeurs, qui ont la possibilité de se faire représenter par le Fonds Social Juif Unifié (FSJU), les pièces utiles au calcul de la valeur des biens spoliés. Devant la difficulté à prouver l’envoi des biens vers l’Allemagne est instituée en 1959 une présomption de transfert. La troisième loi modificative de la loi Brüg en 1964, qui s’accompagne de la levée du délai de forclusion, permet la réouverture des dossiers restés sans suite. En résulte une recrudescence des demandes, souvent formulées par l’intermédiaire du bureau des spoliations mobilières du FSJU. Les demandeurs doivent produire un document officiel qui atteste de l’indemnité perçue au titre des dommages de guerre ou, à défaut, du fait qu'il n'existe pas de dossier à leur nom.

L'indemnisation au titre de la loi Brüg constitue néanmoins une procédure distincte de celle à l’œuvre dans les dossiers de dommages de guerre mobiliers conservés aux Archives nationales. Ces derniers se composent de la demande d’allocation complétée par le demandeur et accompagnée de pièces justificatives (telles que des copies de documents d’état civil ou de documents d’identité notamment, l'inventaire détaillé des meubles enlevés par l’occupant, la police d’assurance, les attestations du maire, du commissaire de police et de témoins et, le cas échéant, la fiche de renseignements complémentaires), d'un sous-dossier administratif et financier comprenant la décision portant évaluation définitive d’indemnité, la décision d’engagement, la réquisition de paiement et d’émission et autres pièces comptables, ainsi que de la correspondance entre le demandeur et le service instructeur. Y figurent parfois des documents divers, en particulier quelques rares photographies d’appartements et rapports d'enquête.

Inventaire des œuvres d’art pillées par les Allemands au domicile d’un particulier, sans date. © AN, 19780332/113

La demande d’allocation est particulièrement riche, puisqu’elle comporte des informations sur l’état civil et le lieu de résidence des personnes, de même que sur la composition du foyer, aux dates du sinistre et du dépôt du dossier. Les mentions relatives à l’origine, à la confession ou au sort des sinistrés pendant la guerre, en marge des documents, peuvent venir éclairer l’histoire des familles.

L’inventaire du mobilier, la police d’assurance et d'éventuelles photographies apportent des renseignements d’ordre socio-économique sur les sinistrés qui appartiennent ici, pour beaucoup, à la bourgeoisie, et sur leur cadre de vie avant-guerre. Ces documents sont susceptibles de servir à des recherches en vue de l’identification des biens spoliés et, peut-être, de la réparation des spoliations.

Historique de la conservation

Le versement 19780332, constitué de 195 articles, revêt un caractère hétérogène. Les dossiers de dommages de guerre mobiliers représentent cependant 152 articles, soit l’essentiel de celui-ci. Ces dossiers, évalués au début des années 1960 à près de cent kilomètres linéaires pour l’ensemble de la France, ont fait l’objet à la même période d’éliminations importantes, quoique variables d’un département à un autre. La circulaire n° 62-10 de la direction des Archives de France, en date 14 mars 1962, indique que le tri de ces dossiers, que ne sauraient accueillir en totalité les services d’archives départementales, doit être réalisé « en coopération avec les services des dommages de guerre ». Lui est annexé un extrait de la circulaire n° 62-11 du ministère de la Construction aux préfets et aux directeurs départementaux de la construction en date du 6 février 1962 qui, en matière de dommages mobiliers, prescrit la conservation :

  • « a. Des dossiers que MM. les directeurs des services d’archives départementales auront désiré conserver en raison de leur intérêt historique ou scientifique ;
  • b. Des dossiers faisant l’objet d’un recours encore pendant, devant une commission de dommages de guerre ou toute autre instance judiciaire ;
  • c. Des dossiers au sujet desquels les titulaires auraient demandé, en application de l’article 28 de la loi 61-825 du 29 juillet 1961, la restitution de certains documents, dans l’hypothèse où MM. les directeurs départementaux n’auraient pas donné satisfaction à la demande ;
  • d. Des dossiers dont les titulaires ont demandé la conservation en vue d’obtenir le bénéfice de la loi fédérale allemande (loi Brüg) ».

En février 1964, un visa d’élimination a été accordé aux services parisiens du ministère de la Construction par les Archives de la Seine pour près de 135 000 dossiers de dommages de guerre mobiliers. Toutefois, en application de ces circulaires, ont été conservés les dossiers pour lesquels l’indemnité était supérieure à un million d’anciens francs et ceux des personnes éligibles à la loi Brüg, qui en avaient fait la demande expresse. Les Archives de Paris conservent aujourd’hui, au terme de la dévolution des archives de l’ancien département de la Seine, en 1999 et 2000, aux nouveaux départements, 7 000 dossiers de dommages de guerre mobiliers, dont 2 600 concernent du mobilier enlevé par l’occupant et 20 des biens « d’usage courant ». Il semblerait que les dossiers de dommages de guerre qui composent le présent versement aient échappé aux éliminations parce que les sinistrés pouvaient prétendre à une indemnisation au titre de la loi Brüg ou qu’ils étaient des personnalités. Restés au centre de règlement des dommages de guerre de Paris, devenu centre national de règlement des dommages de guerre, ils ont été versés aux Archives nationales par l’intermédiaire de la mission des archives auprès du ministère de l’Équipement. En effet, d’après le bordereau de versement, les Archives de Paris n’auraient pas été en mesure de les accueillir, faute de place, au moment de leur liquidation en 1973. Les dossiers de dommages de guerre mobiliers des Archives nationales forment donc le complément des dossiers clos et versés à une date antérieure à ce service d’archives et qui s’y trouvent, pour la plupart, toujours conservés : en témoigne la réciprocité des lacunes observées dans leur numérotation.

Les dossiers que conservent les Archives nationales et les Archives de Paris ne constituent pas un corpus représentatif des victimes de spoliation, ni a fortiori de persécution, dans le département de la Seine. Les familles juives, propriétaires de biens et de nationalité française, qui ont déposé une demande auprès de l’administration parisienne des dommages de guerre, peuvent en effet n’avoir jamais engagé de procédure d’indemnisation au titre de la loi Brüg, ou n’avoir pas demandé expressément, comme l’exigeait la réglementation, la conservation des pièces versées au dossier.

Modalités d’entrée

Versement

Conservation et accès

Lieu de conservation

Archives nationales, site de Pierrefitte-sur-Seine :
59 rue Guynemer, 93383 PIERREFITTE-SUR-SEINE

Conditions d’accès

Ces documents peuvent être consultés librement en vertu de l’arrêté du 10 novembre 1998 instituant une dérogation générale pour la consultation de certains fonds d’archives publiques concernant la Seconde Guerre mondiale versés aux Archives nationales par le ministère de l’Équipement, des Transports et du Logement.

Conditions de reproduction

Ces documents peuvent être reproduits librement.

Instruments de recherche

Un répertoire numérique est disponible.
Conformément aux préconisations de la CNIL sur le traitement des données sensibles, l'intégralité de cet inventaire est consultable uniquement depuis des postes informatiques dédiés, dans les salles des inventaires des Archives nationales. Il s'agit d'une version nominative détaillée du répertoire comportant notamment les nom, prénom, date et lieu de naissance du demandeur et l’adresse du bien spolié.

Sources et bibliographie

Sources complémentaires

  • Archives nationales :
    • Versement 19970272 : fonctionnement de l’administration des dommages de guerre (1945-1986).
    • Fonds de la direction des dommages de guerre (ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme puis ministère de la Construction), notamment les dossiers de dommages de guerre traités sur le plan national, classés par branches d'activité.
  • Archives départementales, série W : dossiers de dommages de guerre traités sur le plan national, dossiers de dommages de guerre immobiliers et, dans une moindre proportion, mobiliers.
    En particulier, aux Archives de Paris :
    • 50 W 1-995, 51 W 1-350, 52 W 1-27, 53W 1-4, 1094W 1, 1126W 1, 1131W 1-24 : dossiers de dommages de guerre du département de Paris (1935-1982).
    • 47 W 1-116 : restitution des biens des personnes victimes de spoliation : ordonnances de restitution, constats et rapports d’huissiers (1945-1950).
  • Fonds social juif unifié (Paris) : dossiers généraux relatifs à l’application de la loi Brüg et correspondance avec les victimes de spoliation.
  • The Central Archives for the History of the Jewish People (Jérusalem, Israël) : archives du bureau des spoliations mobilières déposées par le FSJU (environ 36 000 dossiers individuels).
  • Bundesamt für zentrale Dienste und offene Vermögensfragen (Berlin, République fédérale d’Allemagne) : archives de l’Oberfinanzdirektionen [direction financière supérieure].
  • Landesarchiv Berlin (Berlin, République fédérale d’Allemagne) : archives du Wiedergutmachungsamt [bureau des restitutions] et du Entschädigungsamt [bureau des réparations].

Bibliographie

  • ANDRIEU (Claire), GOSCHLER (Constantin) et THER (Philippe), dir., Spoliation et restitution des biens juifs en Europe, XXe siècle. Paris : Autrement, 2007.
  • BACKOUCHE (Isabelle), GENSBURGER (Sarah), « Expulser les habitants de l’îlot 16 à Paris à partir de 1941, un effet d'« aubaine » ? », dans Pour une microhistoire de la Shoah, dir. Tal Bruttmann, Ivan Ermakoff, Nicolas Mariot, Claire Zalc. Paris : Seuil, collection « Le genre humain », 2012, p. 169-196.
  • GENSBURGER (Sarah), Images d’un pillage. Album de la spoliation des Juifs à Paris, 1940-1944. Paris : Textuel, collection « En quête d’archives », 2010.
  • GRYNBERG (Anne), « Indemnisation, spoliations », dans Dictionnaire du Judaïsme français depuis 1944, dir. Jean Leselbaum et Antoine Spire. Paris : Armand Colin, 2013, p. 423-426.
  • LINSLER (Johanna), « Réparations allemandes », dans Dictionnaire du Judaïsme français depuis 1944, dir. Jean Leselbaum et Antoine Spire. Paris : Armand Colin, 2013, p. 770-772.
  • PIKETTY (Caroline), DUBOIS (Christophe), LAUNAY (Fabrice), Guide des recherches dans les archives des spoliations et des restitutions, Mission d’étude sur la spoliation des juifs de France. Paris : La Documentation française, 2000.
  • WIEVIORKA (Annette) et AZOULAY (Floriane), « Le pillage des appartements et son indemnisation », Mission d’étude sur la spoliation des juifs de France. Paris : La Documentation française, 2000.

Liens