Page d'histoire : Victor Louis Paris, 10 mai 1731 - Paris, 2 juillet 1800

Plan du Grand-Théâtre de Bordeaux par Victor Louis, 1782

 

De l'œuvre de l'architecte Louis, notre époque a retenu avant tout le Grand Théâtre de Bordeaux et les Galeries du Palais-Royal à Paris. C'est réduire excessivement une œuvre abondante et variée, conservée pour partie et connue par la gravure et de nombreux dessins pour le reste.

Il eut le bonheur de bénéficier de la meilleure formation professionnelle qui ait été : celle qui, au XVIIIe siècle, combina théorie et pratique. Son apprentissage dans le milieu des maîtres maçons parisiens où exerçait son père explique sans doute le goût qu'il devait toujours manifester pour la stéréotomie et les prouesses techniques (escalier de la maison Boyer-Fonfrède ou "clou" du portique de la salle de spectacle à Bordeaux par exemple) ; mais ce savoir-faire prenait appui sur la formation théorique des élèves de l'Académie d'Architecture dans le sillage de Gabriel et de Jacques François Blondel, sanctionnée dans son cas par un prix extraordinaire et un séjour de trois ans à Rome au contact des œuvres de l'Antiquité, du baroque romain (Le Bernin) et de Piranèse.

Grâce à cette formation traditionnelle de haut niveau, son génie souple put s'adapter avec aisance aux goûts divers de ses contemporains et répondre à leur attente. Contrairement à certains de ses confrères, Louis n'est pas un théoricien, même s'il blâme le goût "perverti" de Borromini et exalte le "génie" de Perrault à la colonnade du Louvre. "Néo-antique de tradition française" (F. Benoit), il trouve le ton juste, que ce soit pour un monument public comme le Grand Théâtre de Bordeaux où la salle, dans la tradition du "Grand Goût" royal, répond, tout comme l'escalier d'apparat, au désir du maréchal de Richelieu, ou pour les galeries du Palais-Royal conçues comme un lotissement de luxe aux loyers élevés destinés à renflouer les finances chancelantes du duc d'Orléans.

Ce souci de répondre au désir du client le pousse parfois à des audaces techniques qui sont autant d'innovations. Promoteur de l'éclairage indirect dès 1770 et des volets escamotables dans l'épaisseur du mur (à l'Intendance de Besançon), il tire parti avec bonheur de techniques très anciennes comme les voûtes en hourdis qui permettent de limiter les risques d'incendie au complexe du Palais-Royal (galeries et théâtre). Plus riche d'avenir est l'usage audacieux qu'il fait du fer et du verre en architecture : le fer pour la charpente et les structures intérieures du théâtre du Palais-Royal, le verre posé sur une charpente métallique pour éclairer le Cirque semi-enterré du jardin voisin ou donner un éclairage zénithal naturel au Muséum projeté dans le Gros Pavillon du Palais-Royal.

Louis, comme certains de ses confrères (de Wailly et Ledoux par exemple), est un artiste qui maîtrise tous les domaines de l'architecture et dirige une équipe d'artistes et d'artisans qui exécutent ses projets (décors sculptés des façades, décoration d'intérieurs, ferronnerie, meubles, etc.). Les meilleurs exemples dans ce domaine sont le réaménagement du chœur de la cathédrale de Chartres et le grand projet pour le palais royal de Varsovie.

Cette carrière, brillante malgré quelques échecs dont le plus regrettable est celui de l'aménagement de la place Ludovise à Bordeaux, fut malheureusement entravée par de nombreux scandales. Injustement soupçonné de fraude lors du concours de 1748, il obtient une médaille d'or extraordinaire au concours de 1755 en contrevenant au règlement établi. Il réussit pendant son séjour romain à dresser contre lui le directeur de l'Académie de France à Rome, Natoire. Durant toute sa vie, il traînera comme un boulet la haine de Caylus, se verra poursuivi par la vindicte de Mme Geoffrin et reprocher les commandes émanant de clients comme le maréchal de Richelieu ou le duc d'Orléans. Tout n'est pas justifié, mais l'image de l'artiste en est ternie et son caractère difficile n'arrange rien. Les années noires de la Révolution sont pour lui celles de tous les échecs et, malgré des efforts désespérés, de la ruine finale.

Christian Taillard
professeur à l'université Michel de Montaigne - Bordeaux III

Source: Commemorations Collection 2000

Liens