Page d'histoire : Léo Lagrange Bourg-sur-Gironde, 28 novembre 1900 - au combat, 9 juin 1940

Léo Lagrange en 1936

"Il n'est pas possible que la malédiction s'abatte éternellement sur les déshérités" ; on peut considérer cette parole de Léo Lagrange emblématique de sa vie si brève, et si riche. Homme du midi, jeune avocat lié à l'intelligentsia de gauche parisienne, de Malraux à Guéhenno, de Jean Prévost à Jean-Richard Bloch, il est élu en 1932 député de Fourmies, cette capitale nordique de la douleur et de la grandeur prolétarienne depuis le 1er mai 1891. Et, lorsque Léon Blum lui confie, en juin 1936, le sous-secrétariat d'État aux loisirs et au sport, le voici promu au poste le plus inventif, peut-être, de tout le gouvernement de Front populaire.

Ce ne fut pas facile : rattaché d'abord à la Santé, puis, dans le cabinet Chautemps, à l'Éducation nationale, ce demi-ministère, véritable terre de mission, n'avait au départ ni locaux ni crédits. La volonté de Lagrange, sa simplicité toute populaire, son absence de sectarisme lui valent le soutien non seulement de la Section française de l'Internatioanle ouvrière (SFIO) dont il est membre depuis Tours (tendance Zyromski : la "Bataille"), mais des communistes, des amis de Marc Sangnier, catholiques ardents, et des gauchistes de "Mai 1936". Ministre des loisirs - l'a-t-on assez moqué à droite sur ce thème ! -, il impose aux compagnies ferroviaires le "billet Léo Lagrange" avec réduction de 40 % pour les congés payés. Ministre de la jeunesse, il crée le Brevet sportif populaire, subventionne les petits équipements et protège les deux mouvements d'Auberges de la jeunesse : "partons au devant de la vie". Ministre de la culture sans en avoir le titre, il soutient les nouveaux théâtres comme le mouvement "Jeune science" et les musées de province, ces foyers d'art régionaux.

Au bout de vingt, mois il quitte le pouvoir mais non la lutte politique. Antimunichois, il s'engage en 1939 comme il l'avait fait en 1918. Une de ses dernières lettres à Madeleine, sa femme, sa collaboratrice, dit sa joie de voir entrer au gouvernement le général de Gaulle dont il avait admiré les thèses sur l'Armée de métier en 1935, quand il était secrétaire de la Commission de l'armée. Léo Lagrange meurt au combat le 9 juin 1940. Son nom reste vivant dans l'Éducation populaire. Son œuvre, dans les corps et les cœurs.

Madeleine Rebérioux
professeur émérite à l'université de Paris VIII

Source: Commemorations Collection 2000

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