Page d'histoire : Couronnement impérial de Charlemagne 25 décembre 800

Couronnement de Charlemagne (fin XIVe siècle)
Castres, bibliothèque municipale

Noël 800. Charles, roi des Francs et des Lombards, reçoit à Rome des mains du pape la couronne impériale. L'événement et sa date sont dans toutes les mémoires, flanqués de quelques épisodes venus de la légende plus que de l'histoire, comme la mort de Roland qui a vainement sonné du cor à Roncevaux ou comme la visite à l'école où le roi prend à sa droite les bons élèves pauvres et relègue à sa gauche les mauvais élèves riches.

Laissons là le vieillard à la barbe fleurie. Le roi sans barbe mais à la forte moustache qui s'agenouille devant la Confession de saint Pierre en ce soir de Noël est encore un homme dans la force de l'âge. Il a cinquante-sept ans.

Il règne depuis trente-deux ans sur ce royaume des Francs où son père, le maire du Palais Pépin le Bref, a succédé en 751 à des Mérovingiens depuis longtemps incapables d'exercer le pouvoir. Il a conquis le royaume lombard dont les rois avaient le tort de menacer trop souvent l'indépendance du pape : Charles s'est fait, comme avant lui Pépin, le protecteur du Saint-Siège. Le pape y a gagné ces territoires qui formeront l'état pontifical. Charles en a profité pour s'établir comme le maître d'un bon tiers de l'Italie et l'arbitre du reste.

Par d'incessantes campagnes à la tête de l'armée de Francs, il a étendu sa domination sur des terres qui n'ont rien de franc, sur la Bavière, sur la Saxe, sur la Frise. En Espagne, où il s'est fourvoyé en 778, il commence de constituer, ville par ville, cette marche d'Espagne qui sera la base de la Reconquista. Mêlant la conquête, et souvent la sévère occupation, à la protection de l'Église et à l'évangélisation des peuples païens, il se pose en défenseur de la Chrétienté.

Charlemagne n'est pas seulement un guerrier conquérant, c'est aussi un homme d'État, un organisateur. À l'assemblée des hommes libres qu'il réunit une ou deux fois par an, il formule une politique, aussitôt mise en écrit sous forme de "chapitres", de "capitulaires", qui concerne tous les domaines de la vie publique et privée.

Il ne touche pas au droit privé : le roi n'a pas le droit de toucher à la loi. Mais il prend celui de clarifier les lois propres à chacun de ses peuples, de les harmoniser, de les rendre plus cohérentes, de les faire rédiger et publier. Chargeant ses envoyés, ses missi dominici, de veiller à la bonne administration et à la bonne justice de ses comtes et de ses évêques, il les pourvoit d'instructions qui sont autant de rappels, dans les principes comme dans le détail, de sa volonté en tous les domaines.

Ses deux grandes préoccupations sont la paix et la concorde, l'unité politique et religieuse. Ainsi voit-on le roi conduire son assemblée à combattre les hérésies, ses évêques à unifier les rites, ses savants à procurer des textes corrigés de la Bible et des livres qui régissent la vie liturgique. Dans le même temps, dans les mêmes assemblées et dans les mêmes capitulaires, on trouve des mesures d'ordre et de police, une réglementation des échanges commerciaux, une réforme des poids et mesures, l'établissement d'un nouveau système monétaire.

Fasciné par la culture gréco-romaine, ce roi, dont l'instruction a été quelque peu négligée, s'entoure de ces clercs qui font de sa cour un foyer de rayonnement intellectuel, littéraire aussi bien qu'artistique. Aux débuts, ce sont des Italiens, des Anglo-Saxons, des Irlandais, bref des lettrés originaires de ces pays où se conservait la tradition latine. Les Francs prennent rapidement leur place dans cette élite de savants qui sont aussi bien des têtes politiques que des grammairiens et des exégètes.

Le souci qu'il a de multiplier les écoles et de développer celle qu'il ouvre dans le Palais même n'est pas simplement culturel. Charles est en train de transformer les territoires qui forment son double royaume en un véritable État, avec ses structures permanentes, avec sa hiérarchisation des liens d'homme à homme, avec sa capitale, aussi, car Aix-la-Chapelle est plus qu'une résidence, plus qu'une villa royale comme il en était tant. Et le roi franc a compris qu'on ne gouverne pas sans une élite de comtes, d'évêques et de juges assez instruits pour comprendre lois, capitulaires et instructions, pour rendre compte de leur activité et de celle d'autrui, pour participer utilement aux grands débats d'idées et mesurer les enjeux des combats politiques.

Roi de plusieurs royaumes et des territoires qui en sont les élargissements, roi par-dessus les rois qu'il y a placés et qui sont ses fils, champion du combat pour l'orthodoxie de la foi à l'intérieur et pour le triomphe de l'Évangile à l'extérieur, Charles a pris dans l'Occident une place qui était jadis celle de l'empereur romain. Un titre nouveau s'impose, qu'ont fait attendre les propos mûrement réfléchis de l'entourage intellectuel. Avec le geste de Noël 800, c'est une nouvelle Europe qui se dessine.

Jean Favier
membre de l'Institut

 

Source: Commemorations Collection 2000

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