Page d'histoire : Premier recensement général de la population 16 mai 1800 - 1801

Lettres de Chaptal du 30 fructidor an X (17 septembre 1802)
Paris, Archives nationales
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C'est dans la seconde moitié du XVIIe siècle que les savants ont commencé à s'intéresser aux phénomènes de population. La démographie naît en Angleterre, en 1661. Vauban propose en 1686 une Méthode générale et facile pour faire le dénombrement des peuples. Mais, s'il s'intéresse au sujet, c'est pour des raisons économiques, fiscales et politiques plutôt que scientifiques. La première contribution française de valeur à la démographie est due à Antoine Deparcieux qui, en 1746, publie la table de mortalité des rentiers. En 1772, l'abbé Terray prescrit aux intendants de lui fournir, avec le concours des curés, des tableaux annuels du mouvement de la population qui ont été dressés jusqu'en août 1792. Le Contrôle général espérait en tirer le chiffre de population du royaume, en appliquant soit au nombre moyen annuel des baptêmes, soit à celui des sépultures, l'un de ces multiplicateurs que les arithméticiens avaient mis à la mode, supposant que les taux de natalité et de mortalité étaient à peu près fixes.

De tout ce passé, la Révolution allait faire table rase, s'efforçant de renouveler entièrement la connaissance de la population française, en donnant la préférence aux recensements plutôt qu'à la statistique du mouvement naturel.

La connaissance de la population supposait en premier lieu, une prise de conscience de son intérêt des faits correspondants ; puis l'organisation de leur enregistrement ; et enfin le traitement et la centralisation des résultats. L'enregistrement exigeait une somme de travail énorme, mais répartie sur des dizaines de milliers d'agents (les officiers municipaux) que le pouvoir central pouvait contraindre d'exécuter les tâches prescrites sans leur accorder aucun moyen financier. Au contraire, le traitement des données exigeait la mise en place d'agents spécialisés et d'un bureau central de statistique. La mise au service de la statistique de la pyramide des nouvelles institutions locales (maires, sous-préfets, préfets) en les faisant participer au travail comptable permit de pallier la faiblesse des moyens administratifs.

La Convention thermidorienne puis le Directoire furent le temps de cette organisation. La statistique de la population revint dans les attributions des ministres de l'Intérieur, dont François de Neufchâteau, qui ordonnèrent des dénombrements de population ou des relevés mensuels des naissances, mariages et décès. Ce dernier réussit peu à peu à les obtenir sans qu'on puisse accorder aux premiers états recueillis une confiance absolue.

En juillet 1798, François de Neufchâteau avait réorganisé son ministère. C'était à la première division que revenait le travail relatif à l'état civil et au mouvement de la population mais aussi ce qui concernait la statistique et les dénombrements de population.

Aussitôt après le coup d'État du 18 brumaire, les consuls nommèrent ministre de l'Intérieur le mathématicien Laplace, puis, le 4 nivôse an IX, Lucien Bonaparte. Le 18 germinal suivant (22 mars 1800), ce dernier réorganisa le ministère. Les grandes divisions étaient maintenues mais un " bureau particulier " était créé auprès du ministre. Il y avait aussi quatre conseillers, parmi lesquels Adrien Duquesnoy, chargé de la statistique départementale. Quelques semaines plus tard, le recensement dit de l'an VIII fut prescrit par une circulaire du 16 floréal (16 mai 1800). Le 6 novembre 1800, Jean-Antoine Chaptal devint ministre de l'Intérieur. Il garda comme conseiller Duquesnoy. Le bureau particulier fut scindé en deux sections. Dans ses attributions il n'est pas encore question de statistique. La mention de " bureau de statistique " n'apparaît qu'en septembre 1801.

Pour le dénombrement de l'an VIII, Lucien Bonaparte avait exigé des maires qu'ils fournissent un état de la population de leur commune, répartie entre hommes mariés, veufs, femmes mariées, veuves, garçons, filles et défenseurs de la patrie vivants. C'étaient les catégories déjà utilisées précédemment. Dans quelques communes les maires font alors établir une liste nominative, dans d'autres ils utilisent le registre de population, qui est resté théoriquement obligatoire ; la plupart du temps, ils se contentent d'évaluations approximatives, généralement au-dessous de la vérité, si bien qu'il est tout à fait abusif de voir dans cette opération le premier recensement, dans la tradition de la statistique générale de la France.

Les contemporains ne s'y trompent pas : même après " le recensement de 1801 ", ils continuent à s'interroger sur la population réelle de la République. Le 30 fructidor an X (17 septembre 1802), Chaptal prescrit à 30 préfets de faire dresser dans un ensemble de communes représentant 50 000 habitants au moins, un état donnant à la fois la population au1er vendémiaire an X et le mouvement des naissances des années VIII, IX et X. Cette opération, probablement suggérée par Laplace, était destinée à calculer le fameux multiplicateur qui, selon les arithméticiens politiques, permettrait de connaître la population d'après le nombre des naissances. Les résultats devaient être confrontés aux chiffres du dénombrement précédent. Les calculs donnèrent un rapport de 28,35, ce qui correspond à un taux de natalité de 35,3 0/00, admissible pour l'époque mais certainement inférieur à celui de la France de Louis XVI (qui devait être voisin de 38 0/00).

Un rapport au ministère rédigé au début de l'année 1806 par Alexandre de Ferrière permet de comprendre les rapports qui existaient entre la première division du ministère, qui prescrivait aux préfets de dénombrer la population de leur département et d'en dresser la statistique du mouvement, et le bureau de statistique, cellule d'analyse, qui se chargeait de l'étude et de la mise en forme des données pour une éventuelle publication. Peu à peu d'ailleurs, le bureau de statistique allait être amené à prendre directement en main cette statistique du mouvement de la population. L'analyse des données selon les préceptes de l'arithmétique politique poussait tout naturellement à une exigence de précision et de classement des faits dont seuls les initiateurs des enquêtes pouvaient faire preuve vis-à-vis des préfets, tout en contrôlant les informations qu'ils fournissaient.

Jacques Dupâquier
membre de l'Institut

Pour aller plus loin

Source: Commemorations Collection 2001

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