Page d'histoire : Le conflit du Pape et du Roi 1303

Sceau de Guillaume de Nogaret,
Paris, CHAN, section ancienne,
service des sceaux
© service photographique du Chan

Le pape rudoyé par les affidés d’un clan romain hostile à sa personne plus qu’à ses idées, un juriste du roi de France qui profite d’un coup de main pour prononcer une formule d’appel au futur concile, tel est l’aboutissement spectaculaire d’une crise dont les racines sont déjà anciennes et dont les enjeux dépassent les personnes.

Voilà déjà plus d’un siècle que les papes tentent d’imposer cette vue du « pouvoir des clés » qui ferait d’eux les juges du comportement politique des princes chrétiens. La « théocratie pontificale » progresse dans les esprits et se traduit par d’innombrables incidents qui tournent toujours autour de deux questions : qui peut juger les clercs, qui peut lever des impôts sur les biens de l’Église ? Saint Louis, avant son petit-fils Philippe le Bel, est entré en conflit avec la papauté. L’affrontement prend d’autres dimensions quand un pape, Boniface VIII, se prétend juge suprême, au temporel, puisqu’il est juge « à raison du péché », et quand le conseil du roi de France se peuple de grands légistes menés, d’abord par Pierre Flote, ensuite par Guillaume de Nogaret.

Les clercs sont-ils d’abord d’Église et ensuite dans le royaume ? Sont-ils d’abord sujets du roi, et ensuite clercs ? Dès 1296, une première crise est provoquée par l’impôt, une décime, que le roi veut lever sur les églises sans l’autorisation du pape. Une autre, en 1301, tient au complot ourdi contre le roi par un évêque. Le pape dénie au roi le droit de juger un évêque. Le roi réplique que le privilège des clercs ne couvre pas la trahison.

Le ton monte, et l’on en vient aux principes. La bulle Unam Sanctam formule à son plus haut point, en 1302, la définition du pouvoir pontifical comme souveraineté universelle. Les légistes répliquent : « Avant qu’il y eût des clercs, il y avait des rois ». En bref, le roi n’est responsable que devant Dieu. En 1303, on en arrive aux menaces. Fort de l’adhésion des évêques de France, adhésion qu’ils ne sauraient guère refuser, et après une campagne de propagande sans précédent à travers tout le royaume, le roi attaque la personne même de Boniface VIII. Il lance contre lui un appel à un futur concile. Encore faut-il citer le pape à comparaître devant ce concile. Une citation se fait à la personne. Nogaret, avec quatre sergents, part pour l’Italie. Notons que, si l’on avait voulu exercer une violence, on aurait envoyé une armée, non un professeur de droit.

La bulle portant excommunication du roi de France est rédigée, déjà datée du 8 septembre. Nogaret rejoint le pape dans sa résidence d’été, à Anagni, alors qu’au matin du 7 septembre les hommes de Sciarra Colonna forcent la porte du palais pontifical. L’appel au concile sera prononcé dans le tumulte. Sciarra Colonna a rendu, sans l’avoir voulu, un fier service à la monarchie française.

L’excommunication ne sera pas publiée. Moralement brisé dans son orgueil, le pape mourra le 11 octobre. Plus jamais un pontife romain n’osera se dire le juge des rois.

 

Jean Favier
membre de l’Institut
président de la Commission française pour l’UNESCO
membre du Haut comité des célébrations nationales

Source: Commemorations Collection 2003

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