Page d'histoire : 1ère retransmission Télévision 2 juin 1953 : Elizabeth II est couronnée à Westminster

Elizabeth II et le duc d'Edimbourg, 2 juin 1953

Etrange et paradoxale rencontre, en ce 2 juin 1953 à 10 heures quinze, entre un rituel immuable depuis des siècles et une nouveauté technique qui allait bouleverser la communication et la culture à travers le monde.

Le 6 février 1952, le Royaume-Uni pleurait son roi, George VI, décédé après 16 ans de règne, un roi qui avait su, aux heures sombres de la guerre, partager les épreuves de son peuple avec simplicité et dignité. C’est sa fille, Elizabeth, âgée de 26 ans qui, selon la loi dynastique, va lui succéder. Deuxième du nom, Elizabeth est couronnée reine de Grande-Bretagne et d’Irlande à Westminster, le 2 juin 1953. Mais, au moment de son entrée dans l’abbaye, devant une prestigieuse assemblée venue du monde entier, la reine aurait pu apercevoir, si son attention n’avait pas été focalisée par le cérémonial, les cameramen de cinq télévisions européennes chargées de retransmettre simultanément et en direct l’événement.

C’est une première, car la télévision n’en est encore qu’à ses balbutiements, en particulier en France où l’on compte seulement 50 000 récepteurs. Celui qui deviendra, pour plusieurs décennies, l’une des figures emblématiques de l’ORTF, Léon Zitrone, a été choisi pour commenter la cérémonie. Il le fait dans le style distingué et chatoyant qui fera sa gloire. Et c’est un triomphe car la télévision vient de montrer son aptitude à saisir en direct de grands moments susceptibles de passionner un large public. Dans la foulée du couronnement, l’appétit télévisuel se développe en France, aiguisé par la retransmission d’événements aussi différents que le tournoi de rugby des Cinq Nations, ou l’élection, à Versailles, en décembre 1953, du Président de la République, René Coty, qui marque l’entrée des caméras dans une enceinte parlementaire.

Forte de ce succès (pour la première fois, à l’occasion du couronnement d’Elizabeth II, l’audience de la télévision dépasse au Royaume-Uni celle de la radio), le nouveau media conquiert ses publics nationaux et s’internationalise. L’Eurovision naît dès 1954, après ce rendez-vous historique du 2 juin 1953, avec son générique particulier et sa musique spécifique. Avant le Marché Commun, elle abolit déjà les frontières et fédère des publics nationaux sur des enjeux spectaculaires. Cette culture de masse, dont elle va devenir un vecteur essentiel, est autant nationale qu’européenne avec des émissions taillées sur mesure pour chaque public mais s’inspirant des mêmes recettes : informations, jeux, sports, variétés, dramatiques.

Le ralliement massif des audiences à ce nouveau media, sur le modèle américain (15 millions de récepteurs en 1952 et 35 millions en 1961), va s’opérer dans les années 1950. Et ce parce qu’il a su utiliser les grands événements pour porter son essor et comprendre, avec la retransmission internationale du couronnement d’Elizabeth II, que sa force résidait non pas dans la « mise en boîte » d’émissions diffusées en différé, comme le croyaient ses pionniers, mais dans l’exceptionnelle charge émotionnelle de l’image en direct.

Jean-Michel Gaillard
conseiller référendaire à la Cour des Comptes
directeur général d’Antenne II de 1989 à 1991

Source: Commemorations Collection 2003

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