Page d'histoire : George Sand Paris, 1er juillet 1804 - Nohant, 8 juin 1876

Portrait,
Glaize Candide - 1830
Paris, musée Carnavalet
© RMN - Bulloz

Aurore Dupin, devenue George Sand en 1832 par le pouvoir de la littérature, naquit à Paris, dans un modeste appartement de la rue Meslay. Sa mère, Sophie Delaborde, était une ouvrière en modes du Palais-Royal ; son père, un brillant officier des armées consulaires, puis impériales ; sa grand’mère, fille naturelle du maréchal de Saxe, qui lui apprit les Lumières et « la grâce », était une aristocrate. Ce métissage social, rendu possible par les tumultes de la Révolution, fonde ses convictions démocratiques. « Je suis la fille d’un patricien et d’une bohémienne. Je serai avec l’esclave et avec la bohémienne, et non avec les rois et leurs suppôts », écrit-elle en 1844.

Sand est avant tout une femme libre, et d’abord par son existence. Orpheline de père, livrée à elle-même par la mort de sa grand’mère, elle épousa en 1822 le baron Casimir Dudevant, dont elle eut deux enfants, Maurice, son fils bien-aimé, Solange, sa fille révoltée avec laquelle elle fut en conflit permanent et douloureux. Elle connut l’épreuve d’une union mal assortie : amateur de chevaux et de chasse, Casimir détestait la conversation et la lecture. Faute de pouvoir divorcer, ils se séparèrent, et Sand devint l’apôtre du divorce et de la réforme du Code civil, clef de l’indépendance des femmes. L’égalité civile est, à ses yeux, un préalable indispensable au droit de vote, ce qui explique sa position réservée à cet égard en 1848.

Après ce mariage manqué, elle eut de nombreux amants : Jules Sandeau, l’initiateur, Musset, le plus romantique, Michel de Bourges, le plus politique, Chopin, génial et fragile, Manceau, le plus dévoué, avec lequel elle vécut des années quasi conjugales à Palaiseau, bien d’autres. Et des amis encore plus nombreux, hommes et femmes, qu’elle rencontrait à Paris et recevait dans sa belle maison de Nohant, son « paradis », dont elle fit un haut lieu d’enracinement familial et de sociabilité romantique, un refuge après le coup d’État.

Sans s’y enfermer toutefois, toujours courant entre le Berry et Paris, goûtant les progrès du chemin de fer, après 1847, explorant la France en tous sens, l’Espagne et surtout l’Italie, sa terre préférée. Le voyage est, pour Sand, une forme et un symbole d’émancipation, comme le port du pantalon, si commode, ou l’usage du cigare, si plaisant. Subvertir les apparences, c’est refuser les rôles imposés, briser les frontières du sexe, sans renoncer aux charmes de la féminité. Avide de bonheur, George est curieuse de tout, des êtres et des choses, des paysages et des livres, de la musique et de la peinture, qu’elle pratiquait fort bien, de la Révolution française et de Dieu.

Elle entend, surtout, assouvir la « rage d’écrire » qui animait déjà « Miss Agenda » (son surnom), pensionnaire au couvent des Anglaises sous la Restauration. L’écriture fut sa vraie passion, son occupation majeure, pratiquée souvent tard dans la nuit, et de bien des manières. Épistolière abondante et ponctuelle, elle envoya plus de 30 000 lettres, dont Georges Lubin a publié près de 18 000 (26 volumes), témoignage exceptionnel sur le XIXe siècle ; comme son Histoire de ma vie, dont elle voulut faire un modèle d’autobiographie démocratique. Consciente de l’importance de la presse, elle soutint la création de journaux (l’Éclaireur de l’Indre), et de revues (La Revue Indépendante de Pierre Leroux, son maître en socialisme), lança en 1848 La Cause du Peuple et donna de nombreux articles et feuilletons aux organes d’alors.

Elle fut un écrivain à part entière (elle refusait le statut de « femme auteur », plutôt déprécié), auteur d’une centaine de romans, féministes (Indiana, Lélia, Valentine, Consuelo), sociaux (Le compagnon du Tour de France, Le Meunier d’Angibault, La Ville noire), paysans (La Mare au diable, François le Champi, La Petite Fadette, Nanon), plus rarement historiques, dont plusieurs furent des « best-sellers », en France et à l’étranger. Elle y mettait en scène la société de son temps, ses conflits et ses tensions, politiques, sociales et sexuelles, avec un grand souci de langage, de poésie et de pensée. Éloignée de « l’art pour l’art », cher à Flaubert, elle voulait faire œuvre utile. Professionnelle, elle respectait les délais, discutait les contrats avec ses éditeurs. Reconnue, elle fréquentait les cercles -littéraires (le dîner Magny), les théâtres, où nombre de ses œuvres furent adaptées. Avec Flaubert, le cher « Troubadour », elle entretint un échange intellectuel d’une qualité exceptionnelle. Équivalente des grandes romancières britanniques, en moins intimiste et plus sociale, elle fut l’égale des plus grands, « la reine de notre génération littéraire », disait Buloz (directeur de la Revue des deux-mondes), l’alter ego de Victor Hugo.

Enfin Sand fut une femme engagée dans tous les combats du siècle : contre l’injustice et la misère, la peine de mort et la prison ; pour les poètes ouvriers, l’émancipation paysanne, les droits des femmes ; pour la libre pensée, l’avènement des nationalités (surtout en Italie) ; pour la République, « une République démocratique et sociale », fondée sur l’égalité, le suffrage « universel », la laïcité, la non violence. Elle crut la trouver dans la Seconde République de 1848, où elle s’investit pleinement, avec ses amis du gouvernement provisoire : Ledru-Rollin, Louis Blanc, Arago, et surtout Armand Barbès, « le saint républicain », qu’elle vénérait. Elle rédigea une partie des Bulletins de la République, multiplia les brochures d’éducation populaire, préoccupée par la distance croissante entre Paris et la province. Atterrée par les journées de juin – « je ne crois pas à une République qui commence par tuer ses prolétaires » –, accablée par le coup d’État du 2 décembre 1851, elle se replia dans un exil intérieur voué à l’écriture, la réflexion politique, dont sa correspondance atteste l’acuité, la famille (ses deux petites-filles) et l’amitié.

Mais « la bonne dame » n’abandonnait rien de ses convictions. L’avènement de la Troisième République lui redonna un espoir, assombri toutefois par les désastres de la guerre franco-prussienne, qu’elle décrit dans son captivant Journal d’un voyageur pendant la guerre, et par la Commune, qu’elle réprouva. « La République, c’est la vie », disait-elle en 1848. Elle était arrivée au port. Elle mourut à Nohant, parmi les siens. On l’enterra dans son jardin qui, sans doute, vaut le Panthéon, « Grande Femme », s’il en fût.
Il nous reste à la redécouvrir.

Michelle Perrot
professeure émérite à Paris VII-Denis Diderot

Source: Commemorations Collection 2004

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