Page d'histoire : Françoise Sagan, Bonjour tristesse Mars 1954

Édition originale
© cliché Bibliothèque nationale de France

C’est Gérard Mourgue, qui était à l’époque libraire rue de Courcelles, qui m’a fait lire Bonjour tristesse de Françoise Sagan. Je n’habitais pas loin de sa librairie, chez mes parents, au 86, avenue de Wagram. Je devais d’ailleurs découvrir, peu de temps après, que Françoise, qui habitait elle aussi chez ses parents, n’habitait pas loin de chez moi, boulevard Malesherbes. Donc, c’eût été bien le diable si nous ne nous étions pas rencontrés. Gérard Mourgue m’avait parlé de ce livre avec beaucoup d’enthousiasme. Il me l’avait même fait déposer. Aussitôt reçu, aussitôt lu. Et pourtant, ce livre n’était pas de chez Gallimard et son auteur était une très jeune fille. À mon sens, deux mauvais points. Mais c’est vrai que Bonjour Tristesse se lisait très facilement, un peu comme une série noire, une bonne série noire. Je ne pensais pas plus loin. On devient vite un personnage de Sagan. J’ai relu tout à l’heure Bonjour Tristesse en « Bouquins ». C’est très court dans cette édition. Ça fait 65 pages. J’étais presque ému. Enfin, plus que la première fois. C’est l’âge et de toutes les façons, j’ai la larme facile. Ça date de 49 ans. Presque un demi-siècle d’amitié, c’est énorme. La première fois, c’était en 1954. Je devais être plus préoccupé de l’Indochine, de Mendès France dont c’était le seul et premier ministère, des accords de Genève que de Bonjour Tristesse. Longtemps, on a eu de la chance avec notre littérature. Elle couvrait nos reculs. Sartre et Les Temps Modernes, ce qui s’était passé sous l’occupation, Sagan, Robbe-Grillet, le nouveau roman, la perte de l’Indochine. Le début de la fin de notre empire colonial.

Oui, Bonjour Tristesse (1954), c’était juste entre Les Gommes (1953) et Le Voyeur (1959) de Robbe-Grillet. En plein Bloc-Notes de Mauriac. Le voyeur, c’était d’ailleurs Mauriac qui, dans son Bloc-Notes, allait épingler et Sagan et Robbe-Grillet.

Je me demande si Bonjour Tristesse, c’était avant ou pendant Mendès France. Enfin c’étaient deux signes assez forts qu’il se passait quelque chose sur le plan des mœurs et sur la scène politique. Que la IVe n’était pas éternelle. D’une certaine façon, la Nouvelle vague, c’était Mendès et surtout Sagan.

Bernard Frank
écrivain, journaliste

Source: Commemorations Collection 2004

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