Page d'histoire : Étienne-Jules Marey Beaune, 5 mars 1830 - Paris, 15 mai 1904

Photographie : atelier de Nadar - 1896
Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, D.A.P.A., M.C.C.
© médiathèque de l’architecture et du patrimoine

Ce médecin – passionné de mécanique – devait consacrer sa thèse aux « Recherches sur la circulation du sang à l’état sain et dans les maladies » (1859). Plus tard, en 1873, il publiera La Machine animale, Locomotion terrestre et aérienne. Il s’agit toujours, avec lui, de comprendre le fonctionnement des « Moteurs animés ». Marey s’oriente vers « La Méthode graphique » qu’il a, en effet, mise en œuvre afin de pouvoir enregistrer – au moyen de récepteurs – les déplacements internes, parfois imperceptibles, parce que rapides.

Marey a su à la fois capter, puis translater et enfin inscrire, ou encore prendre – conduire – déposer (sur une feuille de papier ou un cylindre). Il triomphe grâce à sa subtile machinerie (sphygmographe mais aussi pneumographe, cardiographe, etc.) ni trop écrasante ni trop légère. Il s’avise en conséquence de l’énergie des déplacements internes, de leur vitesse, de leur fréquence, de leur rythme. Il entend dépasser les résultats des physiologistes qui, pour aller à l’intérieur du vivant, recourent à la méthode sanglante : il s’empare au dehors des manifestations essentielles de la vie.

Second Marey : délaissant la physiologie interne, il s’ouvre à la locomotion, plus généralement au cinétisme (la course du cheval, le vol des oiseaux, les vibrations de la mouche, le déplacement de l’athlète).

Il ne va pas cesser de perfectionner son attirail, remplaçant le strictement mécanique (des bracelets, des ceintures, un sabot pneumatique sous les pieds du cheval au galop) ou encore les insuffisantes empreintes laissées sur le sol, par des enregistreurs électriques, puis, enfin, par des chimiques, ce qui nous vaudra, in fine, le fusil photographique, avec ses plaques sensibles tournantes.

Pour mieux réussir ses prises (fin 1878), Marey, à l’aide de sa quasi-caméra portative (des prélèvements d’instantanés à indications continues, car n’est pas visée une simple prise de vue), multiplie les épreuves. Il a encore enduit de noir l’oiseau ou le coureur – un noir sillonné de raies brillantes – afin de diminuer le temps de pose.

Troisième Marey, le savant généralise encore son champ d’examen : il retient les turbulences, l’agitation, le flexueux, – aussi bien une eau qui s’écoule à toute vitesse (les vagues de la mer) que les remous ou les fumées qui tourbillonnent ou les volutes ou les chocs ou même les lignes de force d’un quelconque champ magnétique.

Marey rejoint ouvertement le monde des artistes – ceux de l’école italienne (le futurisme) et ceux de l’Abstraction mais qui s’attachent au cinétisme, – les seuls tumultes, les stries, les vibrations.

Trois remarques alors s’imposent :
1) Marey mérite de prendre place à côté de ses contemporains, Claude Bernard et Louis Pasteur ;
2) à son insu, il ouvrait le chemin qui conduit au XXe siècle : il célébrait la vitesse et, à travers elle, ce qui la favorisait, l’aviation et la caméra portative ;
3) enfin, comme nul autre, il a su joindre une science rigoureuse et le domaine de l’art, tous deux voués, selon lui, aux sortilèges de la transcription représentative.

François Dagognet
philosophe,
professeur émérite à l’université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Source: Commemorations Collection 2004

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