Page d'histoire : La censure sous l'Empire

Joseph Fouché, en grand habit de ministre de la Police générale sous l’Empire
Claude-Marie Dubufe, huile sur toile
Châteaux de Versailles et de Trianon
© RMN

Le génie militaire et politique de Napoléon Bonaparte, la gloire dont il a entouré son nom et celui de son pays, la chute terrible qui s’en est suivie et jusqu’à la manière dont il l’a mise en scène : voilà qui a contribué à rejeter dans une sorte de pénombre tout ce qui fait aussi du personnage le prototype du dictateur moderne. L’extrême concentration et centralisation du pouvoir, la volonté continue de faire taire les voix discordantes, assimilées d’emblée à des voix d’opposants voire de traîtres : de cette figure rien ne témoigne mieux, comme par métonymie, que la censure de cette liberté d’expression dont la Révolution de 1789 avait fait l’un des droits inaliénables de l’homme, tout en commençant, dès 1792, à en écorner sérieusement la mise en pratique.

À cet égard l’essentiel des règles est posé dès les premiers jours du Consulat, où le décret du 27 nivôse An VIII (17 janvier 1800) supprime d’un coup soixante des soixante-treize journaux du département de la Seine et rétablit l’autorisation préalable, abolie en 1789 ; l’Empire ne fera que porter à son degré le plus élevé le durcissement des procédures. Ainsi, s’il faut attendre 1803, 1804 et 1810 pour que soient successivement rétablies les censures préalables sur la presse périodique, les spectacles et la librairie, dans la pratique tous les modes d’expression sont muselés bien avant, à coup d’interdictions, d’intimidations et de condamnations.À l’apogée du système, situable ici comme ailleurs au début des années 1810, le tableau de la presse est suffisamment éloquent avec quatre journaux « politiques » autorisés à Paris, chacun affecté d’un censeur, et un seul titre, évidemment gouvernemental, par département. Le retournement de la conjoncture militaire accroîtra encore la fébrilité des censeurs, dont les excès de zèle agaceront parfois l’Empereur, qui ne fera cependant rien pour alléger le contrôle, lui qui est allé jusqu’à rédiger ou -corriger certaines insertions du Moniteur.

Que la Restauration ait conservé trois des quatre censeurs des théâtres montre assez que la société politique du temps était assurément peu encline à admettre une authentique libération du verbe et de l’image. La pression napoléonienne sur les consciences, dont avaient eu à souffrir tout autant les royalistes que les libéraux, avait été cependant si forte que la Charte de 1814 posa en principe la liberté d’expression, au contraire de la Constitution de l’An VIII, et qu’en effet, même aux jours les plus sombres de Charles X, jamais la France ne connut une contention des esprits analogue à ce qu’elle avait supporté sous Napoléon Ier.

 

Pascal Ory
professeur à l’université de Paris I – Panthéon – Sorbonne
membre du Haut comité des célébrations nationales

Source: Commemorations Collection 2004

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