Page d'histoire : Début de la construction de la place Royale dite des Vosges 1605

La place Royale après 1639

 

Victor Hugo qui habita seize ans au n° 6 eut un mot qui fit fortune : « Le coup de lance de Montgomery a créé la place des Vosges ».

De fait, l’issue fatale du tournoi du 30 juin 1559 qui coûta la vie à Henri II entraîna la démolition de l’hôtel des Tournelles, à l’instigation de Catherine de Médicis : les 10 000 toises carrées du parc furent converties en un marché aux chevaux.

Mais le premier essai de lotissement est confié en 1604-1605 par Henri IV à un consortium que dirige Sully pour édifier une manufacture de draps de soie d’or et d’argent « à la façon de Milan ». Elle sera comprise dans le complexe d’une place dont l’architecture s’apparente à celle de Charleville. L’entreprise fait long feu. L’urbanisme détrône le mercantilisme. À partir de 1608, vingt-quatre lotisseurs vont agir : associés du premier projet, entourage de Sully, traitants comme Philippe de Coulanges (n° 1bis) grand-père de Madame de Sévigné qui naquit dans son pavillon, Claude de Chastillon, ingénieur du roi (n° 10), auteur du projet de la « Place de France », hémicycle triomphal prévu au nord du Marais, interrompu par le couteau de Ravaillac (1610).

Le roi ne présida pas à l’inauguration de l’ensemble. Elle eut lieu en avril 1612 pour célébrer le mariage du jeune Louis XIII avec l’infante Anne -d’Autriche, au milieu d’un fracas d’artillerie et du pseudo et galant combat des « chevaliers de la Gloire » autour d’un castelet en matériau fort léger … Bientôt la tonalité rose et blanche des pavillons, à l’instar du « petit château de cartes » du Versailles de Louis XIII, va conquérir le Tout-Paris. Précieuses adonnées au déchiffrage de la Carte du Tendre, grandes dames assistant aux duels (prohibés) que se livrent leurs amants, parcours obligé pour toute entrée des illustres (Christine de Suède, ambassadeurs polonais ou persans), « la Place » comme l’écrit Corneille triomphe … jusqu’à la Fronde qui lui porte son premier coup. L’Île-Saint-Louis, le quartier Richelieu, le jeune faubourg Saint-Germain -prennent le relais. Adieu les souvenirs de Ninon de Lenclos, d’Anne de Mont-bazon, du voluptueux Aumont dont les miroirs lui délivraient les spectacles de la place, du grand Bossuet (n° 17). Une torpeur de bon aloi s’abat. Certes, le galant maréchal de Richelieu hérite du n° 21 où il fait décorer un salon chinois (1725) mais n’y séjourne guère ; la magistrature reste fidèle, des locations de qualité se succèdent, mais la mode s’est enfuie.

La plume du venimeux Sébastien Mercier s’aiguise : « Ici vous trouverez le siècle de Louis XIII tant pour les mœurs que les opinions surannées… ». N’exagérons pas. De beaux balcons Louis XV étaient venus égayer les façades. C’est plutôt le XIXe siècle qui va consacrer les propos du polygraphe. Et -pourtant, la place attire encore des célébrités : Hugo, bien sûr, jeune pair de France, tout proche de la tendre Juliette (rue Saint-Anastase), qui lutte en vain pour sauver les superbes grilles de Michel Hasté (1685) édifiées aux frais des riverains, Théophile Gautier, Rachel, Alphonse Daudet.

Elle devint successivement place des Fédérés (1792), de l’Indivisibilité (1793), puis de 1800 à 1814 place des Vosges pour honorer le premier des départements de la République à s’être libéré de ses impôts. Elle recouvra son appellation d’origine avec le retour de la monarchie et l’avènement du Second Empire. Mais en 1870 un élan patriotique rétablit l’hommage républicain à un comportement honorable mais qui n’avait rien de glorieux.

La « Place » n’a cure de toutes ces variations. C’est une vieille Belle assoupie qui n’a rien perdu de son charme ni de son éclat après une heureuse rénovation. Fardée comme une duchesse mais impassible, elle vous attend.

 

Michel Le Moël
conservateur général (h.) du patrimoine
membre de la Commission du Vieux Paris

Source: Commemorations Collection 2005

Liens