Page d'histoire : Et Dieu créa la femme Paris, 4 décembre 1956

Et Dieu créa la femme sort sur les écrans le 4 décembre 1956. Le film de Roger Vadim porte bien son nom car il prend le public à témoin de la naissance d’une femme, Brigitte Bardot. Cette apparition donne au film une carrière commerciale inespérée et fait de Bardot une star. Pourtant, il s’agit presque d’un film amateur, la première réalisation d’un jeune homme de 28 ans, Roger Vadim, financée par un producteur flambeur et aventurier, Raoul Lévy. Mais au moment où le cinéma français pratique l’éloge du travail bien fait, où prime la « qualité », avec ses scénarios rodés, ses acteurs confirmés, ses cinéastes d’expérience, ses studios obligés, ce film tourné en quelques semaines, en extérieurs, avec de jeunes acteurs peu connus, fait figure de phénomène inédit. Brigitte Bardot, 22 ans, est certes déjà connue – c’est la starlette à la mode, qui a occupé les couvertures de magazines et débute au cinéma dans des films légers –, mais son rôle de Juliette Hardy, fille sensuelle, instinctive, une « pécheresse pure » à la franchise parfois brutale, et le contexte dans lequel elle le tourne (Saint-Tropez, quelques scènes assez dénudées et une envie folle de danser sur des rythmes endiablés), vont vite la transformer en emblème de liberté souveraine et de provocation scandaleuse.

Grâce à Bardot, sa femme qu’il regarde vivre, et à ce film tourné en décors naturels de façon très directe, Vadim peut se présenter comme « l’ethnologue de la jeune fille de 1956 ». C’est ainsi que le voient les jeunes turcs de la nouvelle vague, encore critiques de cinéma pour la plupart mais déjà prêts à passer à la réalisation, donc en recherche de modèle. Ils considèrent Bardot dans Et Dieu créa la femme comme un signe important de renouveau, indiquant une voie à suivre : filmer la jeunesse telle qu’elle est, sans maquillage ni carcan de scénario. Alors que Bardot est prise violemment à partie par la presse au nom d’une morale de la jeune première traditionnelle qu’elle met en péril, les -critiques d’Arts et des Cahiers du cinéma volent à son secours. Et Truffaut peut écrire dans Arts le 12 décembre 1956 : « Je remercie Vadim d’avoir dirigé sa jeune femme en lui faisant refaire devant l’objectif les gestes de tous les jours, gestes anodins comme jouer avec sa sandale ou moins anodins comme faire l’amour en plein jour, eh oui !, mais tout aussi réels. Au lieu d’imiter les autres films, Vadim a voulu oublier le cinéma pour « copier la vie », l’intimité vraie, et à l’exception de deux ou trois scènes un peu complaisantes, il a parfaitement atteint son but. »

Et Dieu créa la femme, outre son succès public de film à scandale, a donc été primordial dans la naissance de la nouvelle vague, comme une prise de conscience : la vision d’un corps moderne, l’écoute de la diction anticonformiste de Bardot, la contemporanéité du film, fonctionnent comme des révélateurs de la crise du cinéma français. Vadim filme une femme de 1956, alors que les cinéastes français ayant pignon sur rue filment vingt ans en arrière. Ce que Godard lance quelques semaines plus tard dans un article des Cahiers du cinéma : « Il faut admirer Vadim de ce qu’il fait enfin avec naturel ce qui devrait être depuis longtemps l’ABC du cinéma français. Il est à l’heure juste car il sait respirer l’air du temps. »

 

Antoine de Baecque
historien, critique de cinéma,
responsable des pages Culture de Libération

Source: Commemorations Collection 2006

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