Page d'histoire : Émile de Girardin Paris, 22 juin 1806 - Paris, 27 avril 1881

Buste (terre cuite et bois) par Sarah Bernhardt
Paris, musée d’Orsay
© RMN / Hervé Lewandowski

On a souvent identifié Émile de Girardin aux héros d'Honoré de Balzac. Enfant naturel, dont on a maquillé l’acte de naissance pour masquer la relation adultère entre une femme mariée et le marquis de Girardin, il manifeste tôt son immense ambition et la modération de ses scrupules. Grâce à la presse, qu’il conquiert à la suite d’affaires financières plus ou moins douteuses, il bâtit une fortune qui, de la monarchie de Juillet aux débuts de la IIIe République, lui permet de tutoyer les grands. Mais Émile de Girardin reste d’abord l’un des entrepreneurs de presse les plus modernes et les plus inventifs du XIXe siècle.

Successivement employé dans les bureaux de la maison du roi et agent de change, il s’essaie à la littérature (avec, en 1827, un roman aux accents autobiographiques, Émile), devient inspecteur des Beaux-Arts et tente des opérations spéculatives qui le conduisent à créer ses premiers journaux : Le Voleur (1828), La Mode (1829). Girardin fréquente alors les salons mondains, où il rencontre Delphine Gay, muse de la Restauration, qu’il épouse en 1831. Après avoir fondé quelques périodiques (comme le Journal des connaissances utiles, 1831), il se lance dans la presse quotidienne, naturellement politique, réservée aux élites et diffusée sur abonnement, à cette époque. La Presse, qu’il fonde le 1er juillet 1836, promeut un concept nouveau : celui de la presse à « bon marché ». Pour conquérir le lectorat, Girardin réduit de moitié le prix de l’abonnement, le manque à gagner étant compensé par la manne publicitaire, établit le roman-feuilleton et le fait divers comme des genres incontestés de l’information quotidienne.

Si La Presse n’atteint pas toujours l’audience escomptée (78 000 exemplaires tirés en 1848), ses articles souvent polémiques font parler, et du journal et de son directeur. En 1848, s’estimant atteint dans son honneur par le quotidien de Girardin, Armand Carrel (rédacteur en chef du National) l’entraîne dans un duel où ce dernier trouve la mort.

Élu député de la Creuse en 1834, Girardin achète des titres qu’il renfloue avant de les revendre, et traduit au Parlement et dans les allées du pouvoir l’influence gagnée par la presse. L’homme n’a jamais cherché à contrarier le sens du vent politique. L’orléaniste, ami de Guizot, se rallie à la République en 1848 et se rapproche de Louis-Napoléon Bonaparte. Sa condamnation du coup d’État du 2 décembre lui vaut un court exil en Belgique. Revenu en France, il reprend sa carrière d’entrepreneur de presse et, en 1866, achète La Liberté, feuille légitimiste qui végète.

Après avoir salué l’ouverture du régime (1868), encouragé la guerre contre la Prusse (1870), il joue, la République venue, Thiers contre -Gambetta et se rallie finalement aux opportunistes. Son étoile ne s’éteint pas, d’autant qu’en 1873 il acquiert le très populaire Petit Journal (600 000 exemplaires) qu’il place au service de la République modérée. Député de Paris (1876), directeur d’un nouveau quotidien, La France, président de la commission qui, dès 1878, prépare la loi sur la presse (votée en 1881), le « Napoléon de la presse », comme on le surnomma, achève de conquérir, avec la République, le prestige et la respectabilité après lesquels il courut toute sa vie.

Christian Delporte
professeur d’histoire contemporaine
université de Versailles - Saint-Quentin-en-Yvelines

Source: Commemorations Collection 2006

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