Page d'histoire : Fantasmagorie, le premier dessin animé Paris, théâtre du Gymnase, 17 août 1908

Gaumont, producteur de Fantasmagorie, définit ce film de 36 mètres comme une « scène tirée de dessins humoristiques du plus drôle effet ». Son auteur est un caricaturiste, Émile Cohl, de son vrai nom Émile Courtet (1857-1938). Disciple d’André Gill, Cohl participe à la fin du XIXe siècle à de nombreux journaux satiriques. Artiste fantaisiste, il fait partie des groupes non-conformistes « Hydropathes et Incohérents ». Aux côtés des Farces d’Alfred Jarry, des Monologues de Charles Cros, des Fables-express d’Alphonse Allais, co-existent les trucages d’images d’Émile Cohl qui se basent sur la parodie et le calembour visuel.

À partir des animations d’objets de J. Stuart Blackton et dans la lignée des pantomimes lumineuses d’Émile Reynaud, Cohl pense à la mise en mouvement de dessins imaginaires. Il s’inspire des saynètes de « silhouettes blanches » réalisées en 1886 par Henri Rivière pour le théâtre d’ombres du Chat noir. Le titre du film fait référence aux illusions d’optique des fantasmagories (1798) du physicien Étienne-Gaspard Robertson. Épurant son trait, Cohl crée le personnage de « Fantoche », petit clown cabriolant formé par quelques lignes blanches se détachant sur fond noir. Ce héros fantasque ne cesse de se transformer (en fleur, en serpent, ou en éléphant) et de transformer les autres personnages (en soldat ou en bouteille). Fantasmagorie, dont le récit ne répond à aucune logique et travaille la rupture, ne s’adresse pas à un public enfantin. L’esprit ludique et poétique de Cohl joue avec les métamorphoses insolites des fantoches puisées dans la tradition incohérente.

Pour sa réalisation, Cohl élabore une boîte munie d’un couvercle en verre dans laquelle il place du papier éclairé par une ampoule électrique. Chaque dessin est enregistré par la caméra posée verticalement au-dessus du coffre. Avant d’enlever la feuille photographiée, un autre papier est intercalé pour être filmé à son tour, et ainsi de suite.

À la suite de ce premier succès, Le Cauchemar du Fantoche (80 mètres) sort le 14 septembre, suivi d’Un drame chez Fantoche (72 mètres), le 9 novembre 1908. Cohl, qui réalisera plus de 300 films d’animation en  France et aux États-Unis entre 1908 et 1923, avec des techniques perfectionnées et variées (papiers découpés, poupées animées, pixilation), fera réapparaître son personnage une dernière fois en 1921 dans La Maison du Fantoche.

 

Isabelle Marinone
historienne du cinéma – enseignante à l’université Paris III - Sorbonne Nouvelle,
présidente de l’Association des chercheurs en études cinématographiques Les Trois Lumières.

Source: Commemorations Collection 2008

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