Page d'histoire : Rencontre avec le général de Gaulle et le chancelier Adenauer Colombey-les-deux-Églises, 14-15 septembre 1958

Début septembre, répondant tant à une demande de rencontre du Chancelier qu’à son propre désir de le voir, de Gaulle fait connaître sa décision de recevoir Konrad Adenauer les 14-15 septembre à Colombey-les-deux-Églises dans sa maison familiale. Au terme d’une retraite de 12 années de la scène politique, de Gaulle a été investi le 1er juin par l’Assemblée nationale de la confiance et des pleins pouvoirs. Adenauer est, depuis 1949, le premier Chancelier de la RFA. Rhénan, âgé de 82 ans, il est président du parti démocrate chrétien (CDU) depuis 1950. Destitué dès 1933 par les nazis de toutes ses fonctions officielles d’alors, il fut sous Hitler, ainsi que sa famille, l’objet de lourds sévices.

La rencontre de ces deux hommes d’État dans des conditions particulières et insolites suscite un intérêt particulier. Leurs ministres des Affaires étrangères et ambassadeurs les accompagneraient à Colombey, sans participer aux entretiens qui auraient lieu exclusivement en tête-à-tête.

Quant à la presse dont les demandes affluaient, de Gaulle, après en avoir refusé catégoriquement la présence, finit par ne tolérer que celle d’un seul photographe travaillant en pool et sur demande. Adenauer arriva en fin de matinée par une belle journée d’automne après que sa voiture l’avait eu conduit par erreur en Meurthe-et-Moselle à un Colombey-les-deux-Belles !

À l’issue du déjeuner, le tête-à-tête dura quatre heures, dans la bibliothèque, coupé d’une courte promenade dans le parc. Il n’y eut qu’un seul  interprète et seulement la moitié du temps, chacun des deux maîtrisant largement la langue de l’autre.

D’entrée de jeu, Adenauer exprima son désir d’une « entente durable » pour un « long avenir » et sa résolution de travailler avec de Gaulle à un rapprochement réel des deux pays. À son tour, de Gaulle exposa qu’il fallait « tenter de renverser le cours del’histoire, réconcilier les deux peuples, associer leurs efforts et capacités ».

En pratique ? À l’Est, l’Allemagne devait accepter les faits accomplis des frontières Oder-Neisse et avoir une attitude de bonne volonté. Outre son renoncement complet aux armes atomiques, il lui faudrait envisager avec patience la réunification des deux Allemagnes. En fait de sécurité, son adhésion au pacte atlantique était naturelle, toutefois dans une perspective différente de celle de la France. S’agissant de l’organisation occidentale des états du continent, les deux hommes excluaient l’idée d’une « construction apatride » de l’Europe. En revanche, ils partageaient la même volonté de mise en oeuvre du traité de Rome qui devrait s’accompagner d’une concertation politique régulière des Six.

Sur tous ces objectifs généraux, l’accord se fit sans difficulté. Il fut décidé d’établir « dans tous les domaines des rapports directs et préférentiels » et de « rester désormais en contact personnel étroit ». Certes, il y eut du nondit entre ce « vieux Français et ce très vieil Allemand », mais dans le souci positif d’écarter ou de mettre au second plan tel ou tel obstacle ou sujet  trop gênant.

Le dîner fut simple, bref et chaleureux. Après le petit déjeuner, Adenauer repartit « rayonnant », rassuré par cette vision compatible à la sienne de la situation internationale et assuré que la France aiderait l’Allemagne à recouvrer sa dignité. Il offrit en cadeau à de Gaulle une très belle Vierge en bois.

Dès son retour à Matignon, de Gaulle, vivement satisfait, réunit son équipe économique et dit « c’est très clair, la France entre dans le Marché commun, donc abaissement des frontières, suppression des contingents, convertibilité du franc, équilibre du budget,... etc. ».

Le cap était pris, l’essentiel de la réforme économique et financière avait donc été réglé à Colombey. Ce fut la première et la seule fois qu’un chef de gouvernement fut reçu à la Boisserie par le général de Gaulle.

En octobre 1963, le Chancelier doit prendre sa retraite, le traité francoallemand signé en janvier est obéré en mai par un préambule. À Rhondorf, dans la roseraie du Chancelier, de Gaulle conclut leur échange de vues « Monsieur le Chancelier, le traité n’est pas une rose, ni même un rosier. Une rose ne dure que l’espace d’un matin, les jeunes filles aussi, mais une roseraie dure très longtemps si on le veut ».

À un demi-siècle de cette rencontre, la réconciliation et le partenariat privilégié des deux pays demeurent en Europe des faits capitaux, modèles et symboles d’une réussite diplomatique absolue. Face à l’histoire, seul, en France, Charles de Gaulle pouvait réaliser cela.

 

Simonne Servais
ministre plénipotentiaire (e.r.)
 

Source: Commemorations Collection 2008

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