Page d'histoire : Ouverture du Pont Saint-Esprit Pont Saint-Esprit, 1309

Pont-Saint-Esprit, vers 1640-1650
gravure sur cuivre de Mathaeus Mérian le vieux,
Pont-Saint-Esprit, Musée d’art sacré du Gard

Le franchissement du Rhône à Pont-Saint-Esprit sur un nouvel ouvrage d’art depuis 1996 permet d’apercevoir le pont médiéval, situé en amont. Il apparaît dans toute son impressionnante longueur, près de mille mètres. Depuis 1309, date de son ouverture à la circulation, il matérialise et assure la fonction de passage avec une continuité sans faille ; il fut même pendant longtemps le seul pont de pierre entre Lyon et la mer. Dans ses Lettres familières, Charles de Brosses1 résume le sentiment maintes fois exprimé : « Ce n’est pas sans raison que ce pont est cité ; il est de toute beauté pour la hauteur, la longueur, l’évasement des arches et la tournure légère des piles. »

Commencé en 1265, il fixe une antique articulation entre la voie d’eau et les pistes terrestres en aval de la confluence du fleuve avec l’Ardèche, en un endroit où les rochers qui barrent son cours obligeaient à rompre charge. Il a été élevé grâce au produit de quêtes par l’œuvre locale du Saint-Esprit regroupant les marchands de la bourgade et non par la confrérie des frères pontifes, née de l’imagination des historiens de la fin de l’Ancien Régime. Le pont a été construit par des ouvriers laïcs soumis pour la durée des travaux à une règle commune et religieuse, mais qui n’exigeait pas les vœux solennels de religion.

Dès 1302, le roi s’intéresse à sa construction pour renforcer sa position sur la rive droite, française depuis le traité de 1226. Il fait fortifier le pont et place les constructeurs sous sa protection.

La légende du Saint Esprit caché sous l’apparence d’un treizième ouvrier particulièrement habile et disponible a donné son nom au pont puis à la ville. À son image, l’architecte a su se jouer de nombreuses difficultés. Pour éviter que son ouvrage ne fasse barrage, il a élevé des piles peu épaisses, suivant l’exemple des ponts antiques de la région, et les a creusées d’oculi pour favoriser le passage des hautes eaux.

En bon méridional, il a tenu compte des excès du climat méditerranéen. Vingt arcs de grande ouverture sont lancés, bien au-dessus du lit. Ils sont surbaissés, pour ne pas trop élever le niveau de la chaussée. Chaque arche est formée de quatre bandeaux juxtaposés de voussoirs. Mais sous la pression des hautes eaux, les arcs ont tendance à s’écarter. Le pont de saint Bénezet fut ruiné dès le XIIIe siècle pour cette raison. C’est pourquoi l’architecte du pont Saint-Esprit eut l’idée d’établir des liaisons entre les quatre bandeaux afin de les maintenir unis. Mais une nouvelle difficulté surgit. Les arcs allaient subir des tassements inégaux qui risquaient de briser les voussoirs ainsi liés. Pour l’éviter, on limita le charroi sur le pont. Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, les chariots ne passèrent qu’à vide et sur des traîneaux.

Une œuvre aussi grandiose ne pouvait pas laisser indifférent : d’après Stendhal, le passage en bateau est comparable à la peur face à la mort. Pour Frédéric Mistral, le pont est une couronne, porte d’or de la terre d’amour.

 

Alain Girard
conservateur en chef du patrimoine
directeur de la conservation des musées du Gard
conservateur du musée d’art sacré du Gard à Pont-Saint-Esprit

1. Voir p. 88-90 l’article de G. Bertrand sur le « président de Brosses ».

Source: Commemorations Collection 2009

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