Page d'histoire : La traversée de la Manche en avion 25 juillet 1909

En 1908, l’aviation pratique est née. Après les tâtonnements de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, les frères Orville et Wilbur Wright ont réalisé le premier vol soutenu aux États-Unis, le 17 décembre 1903.

Henry Farman sur son biplan « Voisin » a effectué le 1er km en circuit fermé officiellement contrôlé, à Issy-les-Moulineaux, le 13 janvier 1908. Il a accompli le premier vol au-dessus de la campagne, 27 km en 20 minutes, de Bouy à Reims, le 30 octobre 1908. Les frères Wright volent en France et effectuent 123,200 km en 2 h 18 mn, le 31 décembre 1908.

La terre est survolée. Il reste aux aviateurs à franchir les mers.

Le 5 octobre 1908, le journal britannique « Daily Mail » crée un prix de 1 000 livres sterling, pour récompenser l’aviateur qui réussira à traverser la Manche au moyen d’un plus lourd que l’air. Les plus légers que l’air l’ont en effet déjà traversée. Le 7 janvier 1785, Jean-Pierre Blanchard et John Jeffries étaient partis de Douvres à bord d’un ballon à gaz pour se poser dans la forêt de Guînes près de Calais.

C’est au tour des adeptes du plus lourd que l’air de tenter maintenant la traversée.

Un aviateur, Serge de Bolotoff, est le premier postulant, dès novembre 1908. Il songe à utiliser un aéroplane triplan construit spécialement par les frères Voisin, équipé d’un moteur Panhard et Levassor de 110 CV puis, devant la difficulté, il renonce bientôt à son projet.

Vont rester en compétition trois concurrents :

  • Hubert Latham (1883-1912), avec un appareil « Antoinette IV » construit par Léon Levavasseur. Ce « sportsman », après avoir participé à des compétitions de courses en canots automobiles est devenu pilote de la société Antoinette en 1909.
  • Louis Blériot (1872-1936) avec son « Blériot XI ». Ingénieur, il a fait fortune dans la vente de phares d’automobiles, avant de se passionner pour l’aviation. Après une association avec les frères Voisin, il a construit ses propres appareils et mis au point le monoplan « Blériot XI », dont Gabriel Voisin lui-même reconnaîtra que tous les meilleurs appareils depuis cette époque n’en sont que des copies plus ou moins réussies. Voisin cite, en particulier, l’avion Ryan « Spirit of St Louis » de Charles Lindbergh en 1927.
  • Charles de Lambert (1865-1944), comte russe d’origine française, avec un avion Wright. Après s’être intéressé aux hydroglisseurs, Charles de Lambert est devenu un fervent de l’aviation naissante : il est l’un des trois pilotes brevetés à l’école Wright de Pau, début 1909.

Le 12 juin, Hubert Latham sur son « Antoinette IV », moteur 55 CV, a effectué environ 40 km en 39 mn. La Manche, au point où elle est la moins large, mesure environ 34 km, aussi son avion lui paraît-il au point pour tenter la traversée. Il arrive, le 3 juillet, à Sangatte, près de Calais, avec le constructeur Léon Levavasseur. Le 19 juillet, il décolle à 6 h 47 du matin du cap Blanc Nez. Brusquement, alors que le vol est des plus réguliers, le moteur s’arrête et l’avion tombe à la mer, à 18 km des côtes françaises. Heureusement pour le pilote, le fuselage qui est en forme de coque de bateau, flotte sur la mer… L’« Antoinette IV » est hissée par le torpilleur « Le Harpon » et transportée à Calais par le remorqueur « Le Calaisien ». Il semble que la panne ait été due à l’arrivée d’essence. Elle parvenait au moteur par des crépines très fines qui se bouchaient très facilement. Il aurait sans doute suffi de la filtrer plus soigneusement avant le départ… Aussi Hubert Latham est-il bien décidé à recommencer.

Louis Blériot, le 19 juillet 1909, après avoir pris connaissance de l’échec de Latham, s’engage pour le prix du « Daily Mail ». Le 13 juillet, il a déjà franchi 41 km en 44 mn 13 s. Il se sent capable de traverser la Manche à bord de son aéroplane et il s’installe le 21 juillet au hameau des Baraques, près de Calais. L’avion qu’il utilise est le « Blériot XI » qui a volé pour la première fois à Issy-les-Moulineaux, le 23 janvier 1909. Il est équipé d’un moteur Anzani à 3 cylindres de 25 CV. Son constructeur italien, Alessandro Anzani, est présent pour assister le constructeur et pilote dans sa tentative. Quelques jours avant son essai, Blériot a été brûlé au pied à deux reprises alors qu’il expérimentait son « Blériot XII ». Cette brûlure avait été occasionnée par le tuyau d’échappement du moteur dont le revêtement d’amiante avait sauté. C’est donc blessé au pied, marchant avec des béquilles, qu’il va entreprendre la traversée de la Manche.

Mais Latham a reçu un autre appareil, l’« Antoinette VII ». Entre lui et Blériot, c’est à qui partira le premier. Ce sera Blériot ! Après un vol d’essai de 10 minutes, jugeant le temps propice, le 25 juillet il s’envole à 4 h 35. Notons que l’aviateur ne sait pas nager ! En cas de chute, un cylindre gonflé d’air doit assurer la flottaison de l’appareil et un gilet de sauvetage permettre au pilote de surnager. Volant à une altitude de 80 à 100 mètres, à la vitesse moyenne de 60 km/heure, il va atteindre la côte anglaise. Ayant dérivé vers le nord-est, et ne pouvant pas franchir les falaises, il vire vers la gauche en longeant la côte pour trouver un endroit propice à l’atterrissage, si possible Shakespeare Hills. Blériot découvre enfin la prairie de North Foreland Meadow, que lui signale comme convenu, en agitant un drapeau tricolore, le journaliste du quotidien « Le Matin », Charles Fontaine. L’atterrissage est brutal ; le châssis de l’avion s’affaisse et une pale de l’hélice Chauvière se détache. Mais la Manche, soit 38 km, est franchie en 32 minutes. La terre a été touchée à 5 h 17.

Blériot rentre le soir même en France sur le contre-torpilleur « l’Escopette » qui l’a suivi pendant son vol et à bord duquel se trouvait sa femme. Le 26 juillet, il retourne à Douvres et se rend à Londres où Lord Northcliffe, propriétaire du « Daily-Mail », lui remet une coupe et le montant du prix. L’avion est exposé à Londres. Blériot, de retour à Paris, reçoit un accueil triomphal. Le « Blériot XI » est acheté par le journal « Le Matin » pour 10 000 F. Il est présenté au public au siège du journal, puis au Salon de l’aéronautique avant d’être remis au Conservatoire national des arts et métiers.

Charles de Lambert, l’élève de Wilbur Wright à Pau, s’est installé, lui, à Wissant, à côté de Boulogne-sur-Mer. Il a pour appareil un biplan « Wright » construit par Toxna, muni d’un moteur Bariquand et Marre de 24 CV. Sa tentative lui paraît-elle superflue après la réussite de Blériot ? Le 27 juillet, à 8 h 30, il décide d’effectuer un essai avant de prendre une décision. Un mauvais atterrissage met son appareil momentanément hors d’usage. Les circonstances ont décidé pour lui. Il abandonne, pour connaître par la suite d’autres succès.

Latham, sportivement, tente à nouveau la traversée sur un nouvel appareil, l’« Antoinette VII », moteur 50 CV. Il décolle le 27 juillet à 17 h 50. À 18 h 16, le moteur s’arrête et l’avion doit à nouveau se poser sur l’eau, à seulement un mile des côtes anglaises. Il a couvert 34 km à la vitesse de 90 km/h. Il semble qu’il y ait eu rupture d’une tuyauterie d’essence. Latham renonce, mais d’autres exploits l’attendent lui aussi. En août 1909, il bat les records de distance (plus de 154 km) et de hauteur (155 m). Le 7 janvier 1910, il atteint 1 000 m d’altitude.Gérard Feldzer
directeur du Musée de l'air et de l'espace              

Alain Dégardin
conservateur aérostation et aviation ancienne                                  

Source: Commemorations Collection 2009

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