Page d'histoire : Jean Vauthier Grâce-Berleur (Belgique), 20 septembre 1910 - Paris, 5 mai 1992

Jean Vauthier
Photo de Roger Pic
© Bibliothèque Nationale de France

Avec Beckett, Genet, Ionesco, Schehadé ou encore Audiberti, Jean Vauthier appartient à la génération des dramaturges du Théâtre Nouveau qui a émergé sur les scènes parisiennes après la Seconde Guerre mondiale. Aux antipodes de tout minimalisme, son théâtre, dont l’unité se trouve « dans la démesure », accueille un combat ardent où se côtoient lyrisme et bouffonnerie. Souvent ancrée dans le banal, son œuvre ne manque jamais de convoquer le monde et la poésie.

À l’image de Bada, son personnage emblématique et récurrent (Capitaine Bada, Badadesques, Le Sang), les héros de Vauthier sont en lutte contre tout – la trivialité, le monde, la religion, la femme, les mots eux-mêmes. « C’est dans la lutte que je trouve ma vérité », déclare ainsi Georges dans Le Rêveur. Ils sont prêts à se consumer dans une aventure exigeante, au nom de la beauté, de la création, de la grandeur. La dérision ne les arrête pas. Pas de demi-mesure : le protagoniste du Personnage combattant ne craint pas d’affirmer qu’il bataille « pour que l’incomparable ne cesse d’être poursuivi ! » Chacune des œuvres apparaît ainsi comme une conquête de l’impossible.

Jean Vauthier est également un remarquable réécrivain de théâtre, capable de faire revivre, en les réinventant, d’autres grands poètes de la scène : Sénèque dont, en « bel infidèle », selon l’expression de Florence Dupont, il réécrit Médée, mais surtout Shakespeare et les élisabéthains – Marlowe, Tourneur. Comme Bada, Vauthier semble vouloir « souder [s]on siècle à celui d’Élisabeth ».

Avec le même sens de la démesure, Vauthier explore les possibilités expressives de la radio et collabore avec la télévision et le cinéma. Il fut ainsi le scénariste et dialoguiste du film Les Abysses réalisé par Nikos Papatakis (1963).

Sa recherche ardente d’une « vérité à ce point vérité qu’on en meurt presque », mais aussi son sens physique de la scène, qui l’amène à construire ses textes comme de véritables partitions, ont valu à Vauthier d’être défendu par certains des metteurs en scène et acteurs les plus importants de son époque. Gérard Philipe l’a remarqué et a monté La Nouvelle Mandragore. André Reybaz et Catherine Toth ont créé son Capitaine Bada, que Genet désigna comme « la seule pièce du théâtre contemporain ». Jean-Louis Barrault donna son corps et son âme au Personnage combattant. Marcel Maréchal, qui créa notamment Le Sang, fut pour Vauthier un interprète privilégié. Georges Vitaly, Jorge Lavelli, Claude Régy ont également porté sur scène son verbe sauvage et rayonnant.

Entre autres distinctions officielles, son œuvre a obtenu le Grand Prix du Théâtre de l’Académie française et le Grand Prix de la SACD (Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques). Jean Vauthier a été nommé commandeur des Arts et Lettres et officier de la Légion d’honneur. Une salle du Théâtre National de Bordeaux-Aquitaine porte son nom. Son œuvre, riche, abondante, en partie inédite, mérite amplement d’être redécouverte aujourd’hui.

Yannick Hoffert
maître de conférences à l’université Nancy II
Théâtre et littérature du XXe siècle

Source: Commemorations Collection 2010

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