Page d'histoire : Alexandre Lenoir Paris, 26 décembre 1761 - Paris, 11 juin 1839

Portrait d'Alexandre Lenoir par David, entre 1815 et 1817

Élève du peintre Doyen, Alexandre Lenoir est l’un de ces personnages dont la seule évocation continue à enflammer les passions tant chez les historiens de l’art que chez les archéologues.

Le 2 novembre 1789, l’Assemblée constituante décida de « remettre solennellement les biens du clergé à la disposition de la nation ». L’année suivante, la « commission des Monuments » choisissait les lieux de conservation de ces biens. Le 6 juin 1791, Alexandre Lenoir était chargé de la mise en place et de la conservation du dépôt dit « couvent des ci-devant Petits-Augustins » situé à Paris, à l’emplacement de l’actuelle École nationale supérieure des beaux arts. La mission de son directeur était précise : sauver de tout trafic, pillage ou vandalisme tant les œuvres d’art architecturales que les sculptures trouvées dans les bâtiments récemment dévolus à la nation.

Organisant ce dépôt en « musée consacré aux monuments », Lenoir enrichit très rapidement les bâtiments et la cour des actuels « Beaux Arts » en utilisant ce lieu comme atelier de sauvetage et de conservation. Ces deux tâches se trouvaient être d’autant plus indispensables que la Convention avait décrété, le 1er août 1793, la « destruction des tombeaux des ci-devant rois » à Saint-Denis.

Dès lors, Alexandre Lenoir n’hésita pas à exposer sa vie face à la fureur des profanateurs et des pilleurs (le terme de « vandalisme » ayant alors été prononcé pour la première fois à la barre de l’Assemblée avant d’être popularisé, par l’abbé Grégoire, en janvier 1794). En réalité ces actes, trouvant un alibi symbolique à des pratiques criminelles, étaient le plus souvent le fait d’individus voyant l’avantage financier pouvant être retiré de la revente de telles pièces d’architecture à de riches collectionneurs privés.

Parvenant à sauver de nombreuses sépultures, (notamment celles d’Héloïse et d’Abélard, de Descartes, Jean de La Fontaine, Molière…), Lenoir fut molesté à plusieurs reprises et blessé notamment en voulant sauver de la destruction le mausolée de Richelieu provenant de son château du Poitou.

Désireux de faire honneur à sa mission, il n’hésita pas, en pleine Terreur, à publier un premier état d’un catalogue dans lequel figurait les « biens placés en dépôt » aux Petits Augustins (dont, entre autres, les gisants de Louis XII et de François Ier). Cette initiative vaudra à Lenoir de s’attirer les foudres du peintre Jacques-Louis David et de certains autres de ses anciens confrères.

Constamment animé par la conviction selon laquelle la trace architecturale est une empreinte indispensable à l’âme d’une nation – par-delà l’histoire de ses gouvernements – Alexandre Lenoir continuera à acquérir (très souvent avec ses propres deniers), de nombreux vestiges menacés de ruine ou de trafics frauduleux.

Un Catalogue général, publié le 1er septembre 1795, parut alors que le « dépôt » s’ouvrit au public. Cette collection de sauvegarde prit le nom de « Musée des monuments français ». Son fondateur en devint le conservateur ; la tâche d’Alexandre Lenoir était loin d’être close…

En effet, ayant lui-même épousé une femme artiste peintre, prénommée Adélaïde mais connue sous le seul nom de Lenoir, le conservateur du musée des Petits Augustins se consacrera encore à de nombreux sauvetages, dont celui de l’église de l’abbaye de Cluny, de la cathédrale de Cambrai ou des façades des châteaux d’Anet et de Gaillon.

Soutenu dans son action sous l’Empire (il conseillera notamment l’impératrice Joséphine dans ses travaux d’embellissement à Malmaison), Alexandre Lenoir sera le premier à jouer un rôle de tout premier plan dans la remise au goût du jour de l’art médiéval. Ainsi, au moment même où, pour des raisons politiques, le musée sera fermé et ses réserves dispersées (1816), l’impulsion sera irréversiblement donnée aux premières influences du romantisme, coïncidant en France avec l’émergence d’une conscience artistique soucieuse de rassembler son patrimoine national.

Dès lors, l’ancien directeur du « Musée des monuments français » – outre le fait de se consacrer à des recherches archéologiques, à des publications savantes et au perfectionnement de la conservation du patrimoine national – ne se verra plus chargé que de missions ponctuelles et de moindre ampleur : administrateur des monuments de l’église de Saint-Denis, chargé de la restauration du palais des Thermes à Paris… Alexandre Lenoir ne cessera, désormais, d’être contesté, dans ses choix artistiques, par bon nombre de ses anciens confrères lui reprochant son moindre intérêt pour le classicisme architectural.

Michelet, lui, peu après la mort de Lenoir évoquera sa première visite aux « Petits Augustins », lorsqu’il était encore tout jeune enfant :

« C’est là, nulle autre part ailleurs, que j’ai reçu d’abord la vive impression de l’Histoire » !

L’hommage n’est pas mince…

Jean-François Fayard
docteur en histoire
Paris IV-Sorbonne

Source: Commemorations Collection 2011

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