Page d'histoire : Henri Troyat Moscou, 1er novembre 1911 - Paris, 2 mars 2007

Henri Troyat en 1943

Henri Troyat, c’était un peu d’âme russe transplantée en France. De son vrai nom Lev Tarassov, il était arrivé à Paris en 1920 et resta fidèle à ses origines. Écrivain français, mais pénétré de l’esprit des grands romanciers russes. Au-dessus de son bureau, à Paris, trônait un portrait de Tolstoï, et c’est en prenant l’exemple de l’auteur de Guerre et Paix que Troyat composa ses cycles romanesques, aussi bien ceux qu’il a situés en Russie avant la Révolution ou dans les milieux des réfugiés russes en France, Tant que la terre durera, La Lumière des justes, Les Héritiers de l’avenir, Le Moscovite, que ceux qu’il a consacrés à l’histoire de familles françaises, Les Semailles et les Moissons, Les Eygletières. Ampleur du projet, puissance du réalisme, richesse de la documentation, épaisseur de l’écriture caractérisent son art romanesque.L’écrivain avait été reconnu dès 1938, en recevant pour L’Araigne le prix Goncourt, dont il fut, et reste, le plus jeune lauréat. Il fut aussi un des plus jeunes élus de l’Académie française, où il entra en 1959.

Mais s’il y a un domaine où il a particulièrement excellé, c’est la biographie littéraire et la biographie historique. Œuvre de dévouement, où s’employaient ses deux qualités majeures, la modestie et la générosité. Outre Flaubert et Maupassant, il s’est dédié à l’exploration de la vie et de l’œuvre de tous les grands romanciers russes du XIXe siècle : Dostoïevski, Pouchkine, Lermontov, Tolstoï, Gogol, Tourgueniev, Tchekhov, Gorki. La dernière de ses biographies littéraires a porté sur la poétesse Marina Tsvetaïeva. Parallèlement, il faisait le portrait des souverains qui ont marqué l’histoire russe : Ivan le Terrible, Pierre le Grand, Catherine la Grande, les trois Alexandre, les deux Nicolas. Portraits détaillés, minutieux, jamais pesants, traversés par une chaude et communicative sympathie.

Dire que ces ouvrages, fondés sur une solide érudition, se lisent « comme des romans » serait faire injure à son sens de la responsabilité historique. Mais quand on écrit l’histoire avec le talent d’un véritable écrivain, il est fatal que les personnages surgissent devant nous comme si l’auteur les avait nourris de ses propres émotions.

En réalité, Troyat s’appropriait si bien la vie de ses modèles, qu’il les transformait en héros de son aventure personnelle. C’était un grand humaniste, qui avait foi en l’homme, peut-être parce qu’il savait le prix de sang que coûtent les révolutions. Dans ses romans comme dans ses biographies, il accordait une large place aux petits événements de la vie quotidienne, plus importants à ses yeux que les doctrines et les utopies.

Dominique Fernandez
de l’Académie française

Source: Commemorations Collection 2011

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