Page d'histoire : Victor Duruy Paris, 10 septembre 1811 - Paris, 25 novembre 1894

Lithographie de l’époque,
par A. Lafosse, Mayer, Pierson, J. Lemercier et Cie
Musée national du château de Compiègne
© Musée national du château
de Compiègne
 

Il y a deux cents ans, le 10 septembre 1811, naissait à Paris Victor Duruy. Fils d’un artisan qui devait devenir contre-maître à la manufacture des Gobelins, tout en possédant une limonaderie, Victor Duruy est à la fois un brillant historien, auteur d’une œuvre scientifique conséquente et de nombreux manuels scolaires, un professeur reconnu et un homme politique consacré qui, sous le Second Empire, devient ministre de l’Instruction publique entre 1863 et 1869. Ministre libéral sous un régime autoritaire, il accomplit une œuvre importante qui annonce, par de nombreux aspects, la politique scolaire républicaine.

Destiné à suivre l’exemple de son père, Victor Duruy travaille comme apprenti à la manufacture des Gobelins. Remarqué pour ses aptitudes, il est élève au collège Sainte-Barbe de Paris (1824-1830) en bénéficiant d’une bourse. Bachelier, il est ensuite admis à l’École normale supérieure en 1830 (14e) avant d’obtenir l’agrégation d’histoire-géographie au concours de 1833 qui compte six lauréats (4e). Nommé professeur à Reims, « le poulain de Jules Michelet » (J.-C. Geslot) rejoint l’année suivante le collège royal Henri IV de Paris puis en 1845 le collège royal Saint-Louis. Il compose de nombreux manuels scolaires d’histoire tout en dirigeant les tomes de l’Histoire universelle. Son Histoire des Romains et des peuples soumis à leur domination, en deux volumes (1843-1844), est assez remarquée. Il vote le 10 décembre 1848 pour le général Cavaignac et répond non aux plébiscites qui suivent le coup d’État du 2 décembre 1851. Il soutient sa thèse de doctorat en juillet 1853 sur L’État du monde romain vers le temps de la fondation de l’Empire puis devient inspecteur d’académie en résidence à Paris et maître de conférences (arrêté du 16 février 1861), enfin professeur à l’École normale supérieure. Il compose durant ces années de nombreux ouvrages et articles sur l’antiquité grecque et romaine qui en font un spécialiste reconnu de cette période, composant également des atlas et des abrégés d’histoire qui paraissent chez Hachette. Bien introduit dans l’élite culturelle et mondaine parisienne, Napoléon III lui demande son aide pour la rédaction de son Histoire de Jules César et le remercie en le nommant, en février 1862, inspecteur général de l’Instruction publique puis professeur à l’École polytechnique (octobre 1862).

Apprécié par Napoléon III, ce dernier le nomme ministre de -l’Instruction publique le 23 juin 1863, Victor Duruy occupant ce poste jusqu’au 17 juillet 1869. Pendant sept années, le ministre Duruy déploie une énergie considérable pour moderniser le système éducatif. Dans le primaire, il rénove et enrichit les programmes des écoles normales et restaure le concours d’entrée (1866) supprimé en 1851. Il dépose en 1865 un vaste projet de loi destiné à rendre l’école primaire gratuite et obligatoire, se plaçant ainsi dans la droite ligne des projets révolutionnaires. Combattu, le texte est en grande partie vidé de sa substance. La loi du 10 avril 1867 marque cependant quelques avancées significatives. Elle oblige les communes de plus de 500 habitants à créer une école de filles alors que la loi Falloux du 15 mars 1850 avait fixé le seuil à 800 habitants. Dans le même temps, la loi encourage les communes à prendre des mesures en faveur des familles indigentes afin de leur permettre de disposer de la gratuité des études, leur demandant de fonder une caisse des écoles. Victor Duruy enrichit les programmes de l’école primaire, en insistant sur la nécessité d’adapter les contenus aux activités dominantes de la région (agriculture, industrie…). Il impose aussi l’histoire et la géographie dans le primaire (1867), alors que ces deux disciplines n’étaient que facultatives depuis 1833.

Dans le secondaire, il rétablit l’enseignement de la philosophie et son agrégation (29 juin 1869) et enrichit les programmes. Il cherche également à adapter cet enseignement, très marqué par les humanités classiques, à la société de son temps et crée un enseignement secondaire spécial (1863 puis 1865) qui doit permettre de dispenser une instruction appropriée aux besoins des industries, de l’agriculture et du commerce. Il ne s’agit pas d’un enseignement professionnel mais d’un enseignement général plus court et plus « moderne ». Très conscient de la nécessité d’éduquer et d’instruire les filles, il est à l’origine de la création des premiers cours secondaires féminins (circulaire du 30 octobre 1867) qui doivent permettre de proposer aux jeunes filles de la bourgeoisie un complément d’instruction. Dépendants de l’initiative ou de l’inertie des élites communales, ces cours payants sont très combattus par le camp conservateur et le clergé qui y voient une menace pour la moralité et l’esprit de la jeune fille, d’abord destinée à être la reine de son foyer. De nombreux cours végètent puis ferment dès son départ du ministère, même s’ils devaient ensuite réapparaître pour devenir les embryons des futurs collèges puis lycées de jeunes filles. Dans le supérieur, le décret du 31 juillet 1868 fonde l’École pratique des hautes études dont le but est de créer un foyer libre de recherche et d’enseignement capable de former des savants. Le ministre Duruy, s’il soutient les facultés existantes, n’a pas le temps de lancer un plan ambitieux de rénovation de l’enseignement -supérieur qui demeure, sauf dans la capitale, peu dynamique.

Siégeant au Sénat jusqu’à la fin de l’Empire, Victor Duruy retourne ensuite à ses travaux d’historien. Il achève de publier en 1874 son Histoire des Grecs depuis les temps les plus reculés juqu’à la réduction de la Grèce en province romaine (deux volumes) puis se consacre à son Histoire des Romains depuis les temps les plus reculés jusqu’à l’invasion des Barbares (sept volumes, 1879-1885). Il entre à l’Académie des inscriptions et belles-lettres en 1873, puis à l’Académie des sciences morales et politiques en 1879 avant d’être élu à l’Académie française en 1884. Le ministre de l’Instruction publique de Napoléon III, souvent précurseur de nombreuses réformes des années 1880, est alors le conseiller des républicains opportunistes. C’est ainsi que Jules Ferry le consulte pour la réforme du Conseil supérieur de l’Instruction publique (27 février 1880) puis pour l’élaboration de la loi Camille Sée relative à l’enseignement secondaire féminin (21 décembre 1880). Il est aussi partie prenante de la loi du 28 juillet 1882 créant un baccalauréat de l’enseignement secondaire spécial et allongeant les études de cette filière à cinq années, permettant ainsi à l’enseignement spécial d’être mieux intégré dans le système secondaire. Victor Duruy décède à Paris le 25 novembre 1894, les réformateurs républicains saluant alors à la fois la grandeur de l’homme et de son œuvre polymorphe.

 

Jean-François Condette
professeur d’histoire contemporaine
université d’Artois

Source: Commemorations Collection 2011

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