Page d'histoire : Jules Henri Poincaré Nancy, 29 avril 1854 - Paris, 17 juillet 1912

Henri Poincaré devant la cheminée de son cabinet de travail, 1908 Archives Henri Poincaré
© 2004 Archives Henri Poincaré (CNRS/Nancy-Université, UMR 7117)

Gaub meurt en 1855. Son successeur naît un an plus tôt : le titre de Princips Mathematicorum, réservé à Gaub pendant la première moitié du XIXe siècle, sera aussi attribué à Poincaré* au tournant du siècle.

En réalité, il n’est pas seulement un grand mathématicien mais l’un des derniers savants universels. Ses Notices autobiographiques, rédigées à 47 ans, donnent un témoignage impressionnant de l’étendue des sujets traités : équations différentielles, théorie des fonctions, questions diverses des mathématiques pures (algèbre, topologie), mécanique céleste, physique mathématique, philosophie des sciences, enseignement-vulgarisation divers.

Fils d’un professeur d’hygiène à la faculté de médecine de Nancy (1872), Henri est dès son entrée au lycée de garçons premier de sa classe. Selon sa sœur Aline, son frère « était extrêmement pondéré. Jamais il ne manifestait ni colère, ni émotion ni passion d’aucune sorte : c’étaient ces sentiments les plus profonds qu’il cachait le plus soigneusement. Dans ses jugements sur les autres, il redoutait toute exagération. Il se refusait à les déclarer ou très mauvais ou très bons, car il ne croyait pas à l’absolu, surtout dans les choses morales ». Le docteur Toulouse dira plus tard dans son Enquête médico-psychologique sur la supériorité intellectuelle (1910) : « M. H. Poincaré croit avoir un caractère calme, doux et égal. Mais il n’a pas de patience pour aucune action, ni même pour le travail. Il n’est pas passionné ni pour ses sentiments ni pour ses idées, et il n’est pas liant ni confidentiel ».

Henri entre en 1873 à l’École Polytechnique et, en 1875, à l’École des Mines de Paris. Alors qu’il exerce à Vesoul comme ingénieur des mines attaché au contrôle de l’exploitation des chemins de fer de l’Est, il soutient en 1879 une thèse sur L’intégration des équations aux dérivées partielles à un nombre quelconque d’inconnus, à la suite de laquelle il sera nommé chargé du cours de calcul différentiel et intégral à Caen. La suite de ses publications devient alors « torrentielle » : il va accumuler 30 volumes et plus de 500 articles et « notes ». En 1880, il soumet un mémoire au grand prix de mathématiques de l’Académie des sciences pour résoudre un problème dans la théorie des équations différentielles. Il y utilise, probablement pour la première fois, la géométrie non euclidienne, considérée par la plupart de ses contemporains comme une théorie purement spéculative. L’idée lui en était venue, lorsqu’il posa son pied sur le marchepied d’un autobus lors d’une promenade à Coutances. Cet épisode, qu’il relate lui-même, reste l’un des plus célèbres dans l’histoire des découvertes mathématiques.

Il est nommé en 1881 maître de conférences d’analyse à la faculté des sciences de Paris et succède en 1886 à G. Lippmann à la chaire de physique mathématique et calcul de probabilités à la faculté des sciences de l’université de Paris. Il prend, en 1896, la chaire d’astronomie mathématique et de mécanique céleste. En 1902, il est nommé professeur d’électricité théorique à l’École professionnelle supérieure des Postes et des Télégraphes et, en 1904, professeur d’astronomie générale à l’École Polytechnique. Cette chaire étant menacée de suppression, Poincaré se propose de l’occuper sans salaire. Il en démissionne en 1908.

Henri Poincaré entre à l’Académie des sciences en 1887 et, auteur de trois livres sur la philosophie et les problèmes généraux de la science (La science et l’hypothèse, 1902, La valeur de la science, 1905, Science et méthode, 1908), il est élu, en 1908, à l’Académie française où il sera suivi, en 1910, par son cousin Raymond Poincaré (président de la République de 1913 à 1920) et, en 1914, par son beau-frère Émile Boutroux. La famille Poincaré exerce alors à Paris une importante influence intellectuelle, administrative et politique : il y a non seulement ces trois académiciens mais également un autre cousin de Henri et frère de Raymond, Lucien, qui devint directeur de l’Enseignement supérieur (1914) avant d’être désigné comme vice-recteur de l’Académie de Paris et Lucie Comon, une cousine germaine de Henri qui est l’épouse du chimiste Albin Haller, créateur de l’Institut de chimie de Nancy, puis professeur à la Sorbonne et également membre de l’Académie des sciences (1900).

La correspondance scientifique de Poincaré montre l’étendue des relations avec la communauté des mathématiciens et fait apparaître l’importance de son implication dans des entreprises nationales et internationales : président du projet international de répertoire bibliographique des sciences mathématiques, très engagé dans les premiers congrès internationaux des mathématiciens (mais aussi dans ceux des physiciens et des philosophes), dans l’attribution de prix scientifiques, Poincaré co-signe un rapport pour la Cour de cassation qui joue un rôle important dans la réhabilitation de Dreyfus.

En 1889, le roi de Suède et de Norvège décerne à Poincaré le premier prix pour sa contribution à la question posée par Weierstrass et se rapportant au problème de la stabilité du problème des trois corps. En dépit d’une erreur mathématique, le mémoire de Poincaré reste important pour son utilisation de méthodes topologiques et sa découverte du chaos potentiel dans les équations de la dynamique. Une des conséquences en est que la stabilité de tels systèmes n’est pas démontrable (1893). Particulièrement célèbre est la conjecture suggérée par Poincaré en 1904 au sujet de la caractérisation topologique des sphères à trois dimensions. Il a fallu attendre cent ans pour que le mathématicien russe Grigori Perelman réussisse à la démontrer.

En physique mathématique, Poincaré donne une formulation exacte de l’invariance – décrite par les transformations de H. A. Lorentz – de la forme des équations de la physique, il énonce le premier le principe de relativité pour l’électrodynamique (1904) et il a proposé une loi de gravitation relativiste. Il est également parmi les premiers à démontrer la nécessité d’un saut quantique pour pouvoir rendre compte de la loi de Planck du rayonnement des corps noirs. En électrotechnique, on lui doit une méthode d’intégration de l’équation des télégraphistes et, en théorie des marées, il a trouvé une solution générale en appliquant la théorie des équations intégrales de Fredholm.

La doctrine philosophique du conventionnalisme de Poincaré, selon laquelle l’expérience doit être organisée par des conventions pour obtenir une métrisation univoque de l’espace amorphe, a eu une grande influence sur l’épistémologie du XXe siècle : l’idée que les théories mathématiques intègrent des éléments décisionnels, de sorte qu’elles ne sont ni de pures copies de relations idéales, ni les réalisations d’une abstraction inductive, pas plus que de simples résultats d’une évidence a priori, constitue le mérite largement accepté de la philosophie de Poincaré.

Gerhard Heinzmann
Archives Henri-Poincaré, Nancy (1)

* Cf. Célébrations nationales 20022004

1. Je remercie mes collègues Ph. Nabonnand, L. Rollet et S. Walter de leurs conseils et leur coopération.

Source: Commemorations Collection 2012

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