Page d'histoire : Parution de De l'Allemagne de Mme de Staël 1813

Germaine Necker, baronne de Staël-Holstein dite madame de Staël (1766-1817)
Huile sur toile de Marie-Eléonore Godefroid (1778-1849) Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon
© RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Droits réservés
 

L’histoire de la publication de De l’Allemagne relève à la fois d’une révolution intellectuelle, d’un (courageux) geste d’opposition et d’une affaire de (basse) police. Cette bible à venir du romantisme – qui y trouve une de ses premières définitions en termes d’esthétique littéraire (1) – est une profession de foi cosmopolitique et libérale incompatible avec l’ordre de plomb que Napoléon fait peser sur l’Europe. En octobre 1810, elle vaudra à l’auteur, déjà lourdement frappée par une mesure d’exil effective depuis 1803, un durcissement de ce dernier, la destruction de son ouvrage – qu’elle appellera dans ses lettres « le  brûlé » – et la nécessité de fuir à travers l’Europe du Nord, en un vaste détour qui la conduira enfin, en 1813, à Londres, en Angleterre, terre de la liberté politique. C’est là qu’elle publiera enfin l’ouvrage, en français, chez l’éditeur Murray, en novembre 1813

 

Le livre a mis à mal les clichés des rapports franco-allemands : contrées lugubres, lourdeur tudesque, abstraction conceptuelle excessive… Germaine de Staël, elle, a voyagé deux fois en Allemagne, en 1804 et 1808, appris l’allemand ; elle s’est entourée d’esprits éclairés dont les compétences germanistes et la connaissance des milieux intellectuels et des œuvres ont fait de véritables médiateurs culturels, à l’instar de Charles de Villers, qui lui fit découvrir le kantisme dès 1802.

 

De l’Allemagne irrite un pouvoir qui ne trouve aucune allusion à sa présence conquérante dans les régions allemandes. Staël reçoit le 5 octobre 1810 une lettre du duc de Rovigo, ministre de la police, et comme tel, en charge, depuis le décret du 5 février, de l’exécution de la censure : « Votre dernier ouvrage n’est point français », mais aussi : « Il m’a paru que l’air de ce pays-ci ne vous convenait point, et nous n’en sommes pas encore réduits à chercher des modèles dans les peuples que vous admirez. » Personne ne pouvait douter que cette opposante avérée ait inscrit sa réprobation dans la thèse intellectuelle de l’ouvrage : en défendant le principe de création contre l’imitation et la constitution d’une « originalité nationale » des littératures contre la sclérose des « modèles » néo-classiques défendus par l’Empire, elle dénonçait la parenté de l’esprit de conquête militaire et littéraire.

 

Enfermée entre Coppet et Genève, désemparée, Staël songe à partir pour l’Amérique, puis y renonce. August Schlegel part en juin 1811 pour Vienne avec un jeu d’épreuves sauvé du grand livre. Le 23 mai 1812, à peine remise de son dernier accouchement, Germaine de Staël monte dans sa voiture et disparaît. Sa fuite trompe pendant plusieurs jours la surveillance de la police. De Vienne, elle voyage jusqu’en Russie, puis Stockholm, enfin Londres, où elle demeure jusqu’en mai 1814. De retour à Paris, elle fait rééditer De l’Allemagne par son libraire de 1810, Nicolle, qui avait alors dû faire faillite. Amère revanche, en pleine occupation étrangère de la France…

 

Florence Lotterie
professeur de littérature française à Paris VII-Denis Diderot
présidente de la Société des études staëlienn

 

1. Voir les chapitres X à XIII de la seconde partie.

Source: Commemorations Collection 2013

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