Page d'histoire : Robert Schuman Luxembourg, 29 juin 1886 - Scy-Chazelles (Moselle), 4 septembre 1963

Parmi le personnel politique français, Robert Schuman a un parcours particulier et une personnalité originale. Il naît en 1886 à Luxembourg ; c’est l’enfant unique d’un père alsacien-lorrain, c’est-à-dire de nationalité allemande. Après des études de droit dans les universités allemandes, il ouvre en 1912 un cabinet d’avocat à Metz, alors une ville de l’empire. En novembre 1918, l’Alsace-Lorraine redevient française et Robert Schuman est réintégré dans la nationalité française. À l’âge de 32 ans, il s’adapte sans réticence à sa nouvelle patrie.

Dans la Lorraine redevenue Moselle, où les fonctionnaires français remplacent les élites allemandes, Robert Schuman a toutes les qualités nécessaires pour défendre les intérêts de ses compatriotes : parfaitement bilingue, juriste confirmé en droit allemand et français, catholique fidèle, convaincu qu’il faut progressivement intégrer dans la République les provinces recouvrées, sans brusquer les populations, en respectant les acquis de la période de l’annexion. Il est conduit à la politique plus par devoir que par ambition. En novembre 1919, il est élu député de la Moselle puis constamment réélu. Au Parlement, il siège dans les groupes du centre droit puis s’apparente aux démocrates populaires ; c’est un député de base, discret, estimé de ses pairs ; en dehors des milieux catholiques, c’est un inconnu ; il intervient avec pertinence dans tous les débats préparant l’introduction de la législation française en Alsace-Lorraine ; il est aussi attentif à ce qui doit être préservé, comme les lois sociales et la législation scolaire et religieuse.

Schuman est convaincu que les nazis préparent une nouvelle guerre et que les populations mosellanes seront durement éprouvées. Ce qu’il redoutait se produit en septembre 1939 et il s’installe à Poitiers pour venir en aide aux milliers d’évacués mosellans. Le 23 mars 1940, Paul Reynaud le nomme sous-secrétaire d’État aux Réfugiés, fonction ministérielle d’autant plus exposée que l’offensive allemande du 10 mai 1940 pousse sur les routes des centaines de milliers de fugitifs. Accablé par la débâcle et l’exode, Schuman est impuissant ; il se prononce pour l’armistice puis vote le 10 juillet 1940 les lois qui instaurent le régime de l’État français. L’Allemagne ayant proposé aux Alsaciens-Lorrains évacués qui se sentent mal à l’aise en France de rentrer chez eux, Robert Schuman décide de les accompagner et revient à Metz où, au bout de quelques jours, on lui pro- pose de collaborer. Devant son refus, il est arrêté, jeté en prison et placé au secret durant plusieurs mois ; il vit l’une des épreuves les plus dures de sa vie. Il échappe de peu au camp de concentration avant d’être assigné à résidence dans le Palatinat. Le 1er août 1942, il s’évade et arrive à Lyon le 14 août. Sa période de liberté est de courte durée car l’invasion de la zone libre (8 novembre) par la Wehrmacht l’oblige à plonger dans la clandesti- nité ; il réussit à échapper aux recherches. Malgré les épreuves subies, Schuman, frappé d’indignité nationale en raison de son vote du 10 juillet 1940, est privé de ses droits civiques. Le 15 septembre 1945, il est enfin relevé de l’inéligibilité, à temps pour se présenter aux élections à l’Assemblée nationale constituante. Le 21 octobre 1945, avec l’appui du MRP, auquel il va bientôt adhérer, il est réélu député de la Moselle.

Dans le groupe MRP de l’Assemblée, Robert Schuman est un des rares parlementaires expérimentés. Il est élu président de la Commission des finances, puis le 24 juin 1946, devient ministre des Finances ; il doit faire face à l’inflation, à une rapide hausse des prix, à des déficits publics qu’il faut réduire ; il gère ces difficultés avec habileté, sans attirer sur lui ni l’hostilité de la classe politique ni celle de l’opinion. Dans un contexte tendu, Robert Schuman devient président du Conseil le 22 novembre 1947 ; il affronte des grèves massives et violentes organisées par la CGT et le parti communiste. Cet homme, qui paraît frêle et fragile, résiste et réussit à mettre fin au mouvement.

On aurait oublié depuis longtemps le nom de Robert Schuman si sa carrière n’avait pas rebondi après la chute de son ministère. Le 26 juillet 1948, il est nommé ministre des Affaires étrangères, poste qu’il conserve plus de cinq ans. Dans le contexte de la Guerre froide, Robert Schuman signe les traités qui engagent la France dans le pacte atlantique et son entrée dans l’Otan. Sa grande préoccupation est l’évolution de l’Allemagne occupée, bientôt divisée en deux états. Il observe la formation de l’Allemagne de l’Ouest, la République fédérale de Bonn. Quelle attitude la France doit-elle adopter à l’égard de ce nouvel état allemand dont en septembre 1949, un catholique rhénan, Konrad Adenauer, devient le premier chancelier ? Schuman pense que la France doit éviter de reproduire les erreurs des années 1918-1923. Mener une politique positive de coopération avec ce nouvel état, c’est réveiller les souvenirs douloureux de la récente guerre, ancrés dans la société française. Comment les dépasser et bâtir une relation nouvelle ? Schuman ne dispose d’aucune solution et il se heurte à Adenauer, interlocuteur difficile. C’est Jean Monnet, commissaire général au Plan, qui propose à Schuman un projet, celui d’une Communauté européenne du charbon et de l’acier. Après un temps de réflexion dans le calme de sa maison de Scy-Chazelles, Schuman décide d’accepter et d’assumer le projet de Monnet ; il obtient l’accord indispensable d’Adenauer et dans le plus grand secret prépare avec Monnet la déclaration du 9 mai 1950. Le projet Monnet devient le plan Schuman. Celui-ci apporte des solutions à deux problèmes paraissant jusque-là insolubles : les débuts de la réconciliation franco-allemande et la première étape de la construction européenne.

Par sa culture, Robert Schuman était préparé au rôle qui a été le sien. C’est un Européen pour lequel le nationalisme est un mal absolu et la cause profonde des conflits qui ont ravagé le continent. C’est un chrétien engagé qui pense qu’il faut rechercher tout ce qui peut favoriser la paix et la coopération. Sans aucun plan pré-établi, il a poursuivi et réussi un objectif concret : intégrer la jeune République fédérale dans une Europe des Six à construire. Avec Jean Monnet, Konrad Adenauer et Alcide de Gasperi, Paul-Henri Spaak, Robert Schuman, dont la personnalité a été parfois idéalisée, a laissé sa trace dans l’histoire ; il est perçu comme l’un des « pères de l’Europe », c’est-à-dire l’un de ces dirigeants des années 1950 qui ont été à l’origine de la Communauté européenne d’aujourd’hui.

François Roth
professeur émérite à l’université de Lorraine

Voir aussi Célébrations nationales 1988, p. 74 ; 1999, p. 40 ; 2000 ; 2005, et 2007

Source: Commemorations Collection 2013

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