Page d'histoire : Raymond Aubrac Vesoul, 31 juillet 1914 - Paris, 11 avril 2012

« La nation tout entière entoure Raymond Aubrac avec un cœur lourd, mais plein de reconnaissance » : en énonçant ces mots dans la cour des Invalides, le 16 avril 2012, le président de la Fondation de la Résistance Jacques Vistel pensait au parcours exceptionnel du dernier compagnon de Jean Moulin. Fils de commerçants, né à Vesoul, Raymond Samuel fut reçu ingénieur des Ponts et Chaussées avant d’étudier à Harvard. Officier du génie en 1939, mariée à l’agrégée Lucie Bernard, il fit partie, avec elle, du noyau dont naquit le mouvement « Libération-Sud ». Raymond Aubrac devait devenir le responsable de l’Armée secrète en zone Nord après la réunion de Caluire. Le 21 juin 1943, suite à la trahison de René Hardy, la Gestapo put en arrêter les participants, mais la mort de Jean Moulin des suites des tortures de Klaus Barbie évita sans doute la déportation d’Aubrac. Libéré en octobre, par une attaque de convoi organisée avec le concours de sa femme enceinte de cinq mois, il s’envola clandestinement pour Londres le 7 février 1944, avec elle et leur fils Jean-Pierre. Il siégea à l’Assemblée consultative d’Alger avant de débarquer avec l’armée de Lattre et d’être Commissaire de la République pour la région de Marseille. Il y institua la première Cour de justice et des forces républicaines de sécurité – ancêtres des CRS. Ses réquisitions de grandes entreprises où il introduisit la cogestion suscitèrent de puissantes oppositions qui provoquèrent son départ dès janvier 1945.

Inspecteur général de la Reconstruction, il fut à l’origine du déminage de 500 000 hectares du sol français en 1945-1946. Fondateur d’un bureau d’études qui servit aux échanges économiques avec les démocraties populaires, il devint en 1958 conseiller du gouvernement marocain ; ses succès dans les réformes agraires en firent à Rome, de 1963 à 1976, un directeur à l’Organisation mondiale pour l’agriculture (FAO). Ses liens avec le mouvement communiste l’avaient conduit à accueillir chez lui Hô Chi Minh en 1946, pendant les discussions de Fontainebleau qui ne purent empêcher la guerre d’Indochine. Quand, plus de 20 ans après, il fallut poursuivre les pourparlers devant mettre fin à la guerre du Vietnam, ils servirent aussi aux Américains et le secrétaire d’État Henry Kissinger lui en donna acte. Ceci l’aida en 1970 quand il mobilisa le cardinal Villot et le pape pour que les Américains renoncent aux bombardements des digues dont dépendait la survie des paysans vietnamiens.

Après la fin du conflit, Robert MacNamara lui apporta son concours pour renseigner ses anciens ennemis sur les emplacements des champs de mines qui continuaient à tuer trop de civils. Si la nation a rendu les honneurs des trois armes, du corps des démineurs et de la garde républicaine à ce grand-croix de la Légion d’honneur, médaille de la Résistance avec rosette, c’est bien qu’on voulait saluer sa volonté de construire une France plus juste et un monde plus humain.

Raymond Aubrac a consacré ses dernières années à venir témoigner devant de nombreux auditoires de collégiens, lycéens ou étudiants. Avant de décider de donner ses papiers aux Archives nationales, il m’écrivait en 1998 : « Défendre la mémoire, c’est affaire de statues, de plaques et de rues, mais c’est dans notre cœur qu’elle conserve sa musique, ineffaçable. Et nous autres, vieux résistants, nous l’écoutons avec ferveur pour la faire, à notre tour, entendre à nos enfants ». Parce qu’il a poursuivi l’action de son épouse, leur compagnon Jean-Louis Crémieux-Brilhac a pu, en présence de Nicolas Sarkozy et François Hollande, dire sa certitude d’historien : dans l’ombre, Raymond et Lucie Aubrac, couple désormais mythique, continueront de dresser le flambeau de la justice et de l’espérance.

Charles-Louis Foulon
docteur en études politiques et en histoire

Voir Commémorations nationales 2012

Source: Commemorations Collection 2014

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