Inventaire d'archives : Cour des pairs : archives des procès politiques jugés sous la Restauration (1815-1826)

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L'inventaire de la première partie des procès politiques que comprend la série englobe les sept affaires jugées sous la Restauration par la Chambre des pairs siégeant en Haute Cour de justice. Ce sont : le procès du maréchal Ney, les affaires Saint-Morys et Selves, le procès de Louvel assassin du duc de Berry, le complot militaire du 20 août 1820, la condamnation du rédacteur en chef du et l'affaire des marchés de Bayonne. Drapeau blanc
La Chambre des pairs, en effet, aux termes de la Charte de 1814 - disposition reprise dans la Charte de 1830 - était appelée à exercer une juridiction spéciale comme l'exerçait, en Angleterre, la Chambre des Lords. Sur la douzaine d'articles de la Charte relatifs à l'organisation de la justice, quatre énuméraient les circonstances dans lesquelles la Chambre des pairs se transformait en cour de justice. L'article 33 réservait à la Chambre des pairs la connaissance des crimes de haute trahison et des attentats à la sûreté de l'État "qui seront définis par la loi". Formule vague qui réservait les discussions à venir. Selon l'article 34, "aucun pair ne peut être arrêté que de l'autorité de la Chambre et jugé par elle en matière criminelle". Les articles 55 et 56 traduisaient devant la Chambre des pairs les ministres accusés par la Chambre des députés et lui donnaient le droit de les juger. L'article 56 ajoutait une précision : les ministres ne pouvaient être accusés que pour fait de trahison ou de concussion.
La juridiction de la Chambre des pairs, comme d'ailleurs l'organisation générale de la justice, fut donc créée en termes peu explicites ; l'article 33 relatif aux crimes de haute trahison et aux attentats contre la sûreté de l'État appelait une définition qui fut l'objet par la suite de longs débats de l'Assemblée. Rien ne peut rappeler dans la juridiction établie en 1815 les précédents des hautes cours créées au début de la Révolution [Raymond Lindon, "La Haute Cour de justice en France", Paris, 1945], ni dans le mode de recrutement des juges, ni dans la procédure suivie. En fait, les règles relatives à l'exercice des attributions judiciaires de la haute assemblée durent s'élaborer coutumièrement, au fur et à mesure des affaires qui lui furent confiées.
D'emblée, la Chambre des pairs, à peine nommée, eut à juger le maréchal Ney accusé de haute trahison. Devant le Conseil de guerre qui instruisait son procès, ce dernier invoqua sa qualité de pair pour être traduit devant la Chambre des pairs. Le Conseil de guerre composé de maréchaux liés à l'accusé s'empressa d'accéder à cette demande et, au grand scandale de l'opinion royaliste, se déclara incompétent. Une ordonnance du 11 novembre 1815 déféra le maréchal à la Chambre des pairs. Le duc de Richelieu, président du Conseil des ministres et ministre des Affaires étrangères, lut une communication aux pairs de France [, tome XV, du 8 juillet 1815 au 6 janvier 1816..., Paris, 1869] : Archives parlementaires de 1787 à 1860. Recueil complet des débats législatifs et politiques des Chambres françaises..., Deuxième série (1800 à 1860)
"Messieurs, le Conseil de guerre extraordinaire établi pour juger le maréchal Ney s'est déclaré incompétent. Nous ne vous dirons pas toutes les raisons sur lesquelles il s'est fondé : il suffit de savoir que l'un des motifs est que ce maréchal est accusé de haute trahison. Aux termes de la Charte, c'est à vous qu'il appartient de juger ces sortes de crimes. Il n'est pas nécessaire, pour exercer cette haute juridiction, que la Chambre soit organisée comme un tribunal ordinaire. Les formes que vous suivez dans les propositions de lois, et pour juger en quelque sorte celles qui vous sont présentées, sont sans doute assez solennelles et assez rassurantes pour juger un homme, quelle qu'ait été sa dignité, quel que soit son grade.
La Chambre est donc suffisamment constituée pour juger le crime de haute trahison dont le maréchal Ney est depuis si longtemps assuré.
Personne ne peut vouloir que le jugement soit retardé par le motif qu'il n'existe pas auprès de la Chambre des pairs un magistrat qui exerce l'office de procureur général. La Charte n'en a pas établi ; elle n'a pas voulu en établir ; peut-être ne l'a-t-elle pas dû. Pour certains crimes de haute trahison, l'accusateur s'élèvera de la Chambre des députés ; pour d'autres, c'est le Gouvernement lui-même qui doit l'être. Les ministres sont les organes naturels de l'accusation...
Il est inutile, Messieurs, de suivre la méthode des magistrats qui accusent en énumérant avec détail toutes les charges qui s'élèvent contre l'accusé ; elles jaillissent de la procédure qui sera mise sous vos yeux. Cette procédure subsiste dans son intégrité, malgré l'incompétence et à cause même de l'incompétence prononcée...
Les ministres du roi sont obligés de vous dire que cette décision du Conseil de guerre devient un triomphe pour les factieux...
...Nous vous requérons de procéder immédiatement au jugement du maréchal Ney en suivant pour cette procédure les formes que vous observez pour la délibération des lois, sauf les modifications portées par l'ordonnance de Sa Majesté...
D'après cette ordonnance, vos fonctions judiciaires commencent dès cet instant..."
Traduit devant la Chambre des pairs, Ney ne fut pas jugé en sa qualité de pair mais pour crime de haute trahison. Les défenseurs du maréchal soulevèrent une question préjudicielle : il devait être sursis au jugement jusqu'à ce que la loi eût réglé les attributions de la Chambre en matière judiciaire, mais celle-ci passa outre. On peut donc juger de l'improvisation avec laquelle furent inaugurées les fonctions judiciaires des pairs de France. L'idée prévalait que la Chambre conservait dans ses fonctions judiciaires son caractère d'assemblée législative. Pour les formes de l'instruction et du jugement, la Chambre déclarait suivre celles que déterminaient les deux ordonnances royales des 11 et 12 novembre 1815. Ces ordonnances maintenaient pour les jugements les mêmes formes que pour les propositions de loi, sauf la division de la Chambre en bureaux et la manière de recueillir les votes [Paul Bastid, (1814-1848), Paris, 1954, p. 349 en note]. Les Institutions politiques de la Monarchie parlementaire française
Dès 1816, la Chambre des pairs vota une résolution suppliant le roi de proposer une loi tendant à déterminer sa compétence en matière judiciaire. De 1816 à 1818, trois projets de loi sur la compétence et le mode de procéder de la Chambre des pairs agissant comme Cour de justice furent déposés. En fait, toutes ces tentatives furent vaines comme le seront toutes celles qui suivront. Les règles suivies par la Chambre des pairs naîtront de l'exercice même de ses attributions judiciaires ; aucun texte n'apportera une solution réclamée à maintes reprises mais cependant toujours repoussée lorsque des essais de règlement furent proposés.
En 1818 et 1819, la Chambre eut à juger deux affaires dites affaire Saint-Morys et affaire Selves, du nom des deux plaignants. La première était une plainte de la comtesse de Saint-Morys contre le duc de Gramont, pair de France, en homicide volontaire commis sur la personne du feu comte de Saint-Morys ; la seconde une plainte de Jean-Baptiste Selves contre le baron Séguier, pair de France et premier président de la cour royale de Paris. Mettant en cause deux pairs de France, ces affaires furent portées devant la Chambre des pairs, seule habilitée à juger ses membres en matière criminelle. ratione personae
Le 31 janvier 1818, la Chambre des pairs fut donc à nouveau constituée en Cour de justice, et le président de la Chambre prononça le discours suivant [, tome XX, p. 558 et suiv.] : Archives parlementaires de 1787 à 1860. Recueil complet des débats législatifs et politiques des Chambres françaises..., Deuxième série (1800 à 1860)
"Par ordonnance du 27 décembre dernier, le juge d'instruction au tribunal de première instance de la Seine s'est déclaré incompétent, aux termes de l'article 34 de la Charte constitutionnelle pour connaître d'une plainte rendue le 23 par la dame veuve de Saint-Morys et tendant à établir contre noble pair M. le duc de Gramont et contre MM. le duc de Mouchy et le comte de Poix la prévention de complicité d'un homicide volontaire que par deux plaintes précédentes Madame de Saint-Morys annonce avoir été commis le 21 juillet dernier sur la personne de son mari, M. le comte de Saint-Morys, par le sieur Barbier-Dufay."
Le président ajouta les observations suivantes :
"Aucune loi n'a encore déterminé les formes qui seraient suivies par la Chambre des pairs dans l'exercice de la juridiction que lui attribuent les articles 33 et 34 de la Charte, mais cette juridiction ne peut rester sans effet par le défaut d'une détermination précise de forme...
La première affaire qu'elle a jugée, a formé des précédents qui peuvent être consultés avec avantages. Celle-ci en formera de nouveaux, et de ces acquisitions successives résultera pour l'avenir un droit précieux où la Chambre trouvera des règles de conduites applicables à chaque circonstance..."
L'année suivante, et pour la troisième fois, le 17 juillet 1819, la Chambre des pairs se constitua en Cour de justice. Une plainte dirigée contre le baron Séguier pair de France, premier président de la cour royale de Paris, avait été déposée le 8 juin 1819 au parquet de cette cour par Jean-Baptiste Selves qui imputait au baron Séguier plusieurs dénis de justice et actes arbitraires. A raison de précédents procès, Selves évoqua des problèmes de personnes pour demander la récusation de plusieurs pairs de France.
En outre le procureur général près la cour royale de Paris remplissait aussi les fonctions de procureur général près la Chambre des pairs ; dans ces conditions la plainte était-elle recevable par cette assemblée ? Ce procès donna lieu à de longues discussions intéressantes du point de vue juridique, discussions dont on retrouve l'écho dans les débats de l'assemblée. On peut noter que le terme "cour des pairs" - encore inusité et que la Haute Cour n'a pas encore employé pour se désigner elle-même - apparaît déjà dans les opuscules et les brochures de Selves.
Ce n'est qu'en 1820, à l'occasion du jugement de Louis-Pierre Louvel, assassin du duc de Berry, que la Chambre des pairs prit officiellement le titre de Cour des pairs lorsqu'elle siégeait en Cour de justice. Dans la séance du 15 février 1820, la Chambre des pairs reçut cette communication [ tome XXVI, p. 199] : Ibidem,
"L'attentat qui donne lieu à l'exercice de ces fonctions a été déféré à la Chambre conformément à la Charte et au Code pénal par une ordonnance du roi du 14 février 1820."
Cette ordonnance déclarait :
"La Chambre des pairs constituée en Cour des pairs procédera sans délai au jugement du nommé Louis-Pierre Louvel, prévenu du crime d'attentat sur la personne de notre bien-aimé neveu le duc de Berry.
Elle se conformera pour l'instruction et le jugement aux formes prescrites par nos ordonnances des 11 et 12 novembre 1815..."
Rien n'avait donc été réglé et on en était au même point qu'en 1815. Les débats qui eurent lieu à l'occasion du procès de Louvel témoignent certes des problèmes que se posaient les pairs, mais non de leur volonté d'aboutir à une clarification. Pour la définition de l'attentat à la sûreté de l'Etat, la Chambre des pairs, faute de loi précise, dut se référer aux articles du Code pénal. Néanmoins, à la suite de ce procès, Lanjuinais déposa une proposition tendant à réserver exclusivement la compétence de la Cour des pairs en cas d'attentat contre le roi ou les membres de la Famille royale. On nomma une commission chargée d'examiner l'article 33 de la Charte et d'élaborer une loi définissant l'attentat contre la sûreté de l'État.
En effet, le complot militaire du mois d'août 1820 posait à nouveau le problème de la distinction entre attentat à la sûreté de l'État et complot, notions bien distinctes suivant le Code pénal, même si les peines encourues étaient les mêmes. La Cour des pairs devait-elle connaître du complot d'août 1820 ? Dans le cas précis de ce dernier, la réponse fut affirmative.
Au moins, à la suite de ces deux procès rapprochés, la Chambre se préoccupa-t-elle de sortir de l'imprécision de l'article 33 et la commission déjà citée fut chargée de préparer une loi de compétence. Le 21 avril 1821, le garde des Sceaux déclara devant les pairs [, tome XXXI, p. 20 et suiv.] : Ibidem
" Les articles 33, 34 et 55 de la Charte ont fondé sur une triple base la haute juridiction de la Chambre des pairs...
En 1816, la Chambre s'occupa de préparer une résolution qui devait tracer des limites et donner des règles à cette partie de sa compétence qui tire son origine de l'article 33 de la Charte... Un projet de loi fut présenté à la Chambre des députés. Divers obstacles en empêchèrent la discussion...
D'une part, le cours de la justice était interrompu quand la juridiction ordinaire se déclarait incompétente ; de l'autre, le gouvernement du Roi devait choisir..., parmi les accusations de haute trahison ou les attentats contre la sûreté de l'État, ceux-là seuls qui, par leur gravité, commandaient l'intervention de cette magistrature suprême...
Un arrêt de la Cour de cassation a décidé que l'article 33 de la Charte, en attribuant à la Cour des pairs la connaissance des crimes de haute trahison et des attentats à la sûreté de l'État, n'en avait point dépouillé la juridiction ordinaire et que cette juridiction ne devait s'arrêter que lorsqu'elle était légalement dessaisie par les actes d'une autorité supérieure et constitutionnelle..."
Le garde des Sceaux rappela que, par arrêt du 21 février 1821, la Chambre avait déclaré que c'était à la Cour des pairs qu'il appartenait d'apprécier si les crimes qui lui étaient déférés par le roi rentraient par leur gravité et leur importance dans la classe de ceux dont les jugements lui étaient spécialement réservés.
Le 24 avril 1821, la Chambre fut réunie en assemblée générale pour examiner "un règlement judiciaire communiqué à la Chambre dans sa dernière séance et sur lequel Sa Majesté, par l'organe de M. le garde des Sceaux, a provoqué les observations de l'Assemblée". Après discussion, les pairs décidèrent le renvoi du règlement projeté devant la commission nommée le 12 janvier, et la session fut close sans délibération définitive. Une ordonnance royale accompagnait le projet, qui réglait le costume des pairs lorsqu'ils siègeaient en Cour de justice.
Enfin, le 26 janvier 1822 [, tome XXXIV, p. 197 et suiv.], l'ordre du jour appela le "rapport de la commission spéciale chargée d'examiner les deux propositions précédemment soumises à la Chambre, et relatives l'une à la compétence, l'autre aux formes de procéder de la Cour des pairs". Dans un très long rapport, lu par le comte Ferrand, furent examinées toutes les difficultés rencontrées, et arrêtées certaines dispositions. Ibidem
Le rapporteur rappelle tout d'abord que la Cour des pairs " lorsqu'elle prend ce nom pour juger les affaires criminelles soumises à sa compétence, ne perd rien de la haute dignité attachée à la Chambre des pairs...". Il poursuit :
"qu'elle [la commission] a dû voir dans [l'] arrêté du 18 décembre et dans la mission qui lui était donnée, la preuve que la Chambre sentait la nécessité de sortir définitivement de l'état incertain où elle s'était trouvée depuis 1815, et que les mesures qu'elle avait prises, et la marche qu'elle avait suivie depuis cette époque ne pouvaient pas être aujourd'hui pour elle un motif de n'en pas prendre et de n'en pas suivre d'autres..."
Le rapporteur justifie ensuite le rôle dévolu à la Cour des pairs de juger les crimes contre la sûreté de l'État, et définit la volonté de la Charte en ce qui concerne les pairs eux-mêmes : "En toute matière criminelle, elle veut que les pairs ne soient jugés que par leur Chambre : c'est ce que dit formellement l'article 34. Pour tous les autres, l'article 33 indique une combinaison des crimes et des personnes."
Le rapporteur poursuit : "...le projet de loi qui doit résulter de ce travail s'est trouvé naturellement partagé entre quatre titres, qui en commençant par l'organisation de la Cour des pairs finissent par l'exécution de ses jugements..." Il examine le problème du ministère public et prévoit l'établissement d'un ministère public permanent auprès de la Chambre des pairs : un procureur royal assisté de deux avocats généraux ou substituts. Il règle divers détails de l'organisation même de la Cour pour aborder ensuite le problème de sa compétence qui fait l'objet de quatre articles substantiels. La compétence est déterminée d'après les crimes et les personnes et, sur ces deux bases, la commission a réglé l'extension de la compétence de la Cour des pairs. La commission a voulu qu'excepté les pairs, sur qui la compétence est fixée par la Charte, personne ne pût être compris à raison de son élévation dans l'ordre social. Une seule exception prévue : les attentats contre la personne du roi ou de l'héritier présomptif de la couronne. Quant aux crimes désignés dans l'article 33, ils ne sont de la compétence de la Cour que lorsque les prévenus sont archevêques ou évêques, maréchaux de France, ambassadeurs près les cours étrangères, gouverneurs des divisions militaires en activité, gouverneurs des colonies (et dans ces deux derniers cas, les commandants les remplaçant). Si ces personnages sont impliqués dans des affaires criminelles, les tribunaux doivent alors se dessaisir. Vient ensuite un règlement détaillé des formes de l'instruction et du jugement.
A la suite de ce long rapport, un projet de résolution en quatre-vingt-deux articles fut soumis à la Chambre et discuté en assemblée générale. Un pair, Cornudet, émit la crainte que la Chambre des pairs ne fut réduite à son rôle de Haute Cour, crainte prémonitoire, puisque, sous la monarchie de Juillet, en effet, son rôle de Chambre législative sera très peu important, alors qu'elle siégera presqu'en permanence en Cour de justice. Le comte de Sèze s'étendit ensuite longuement sur la question de la compétence, et voulut ajouter, dans l'article relatif aux attentats contre la personne du roi et de l'héritier présomptif, ceux commis contre la reine et les enfants de France. Fabre (de l'Aude) prit ensuite la parole sur le mode de procéder, la poursuite et la condamnation.
Le nombre des pairs en séance étant insuffisant pour délibérer, le président leva la séance après avoir ajourné la discussion au 26 mars 1822. Le 26 mars donc [, tome XXXV, p. 648], ce projet, qui ne devait susciter que peu d'enthousiasme, fut de nouveau soumis à la Chambre. Le comte de Sèze proposa de diviser les articles du projet en articles réglementaires et articles législatifs. Le duc Decazes proposa le renvoi du projet puisque la fin de la session ne permettait pas une discussion approfondie, mais ce fut un ajournement qui fut adopté aux voix. Ibidem
Après cet échec, la Chambre renouvela au roi sa demande de voir fixer la juridiction et la jurisprudence criminelle de la Chambre des pairs constituée en Cour de justice. Membre et rapporteur d'une nouvelle commission, le comte Ferrand reprit sa proposition en février 1823, en réduisant le projet à quatorze articles tout en maintenant le principe d'un ministère public permanent et certaines dispositions très discutées, par exemple celle des cinq-huitièmes nécessaires pour prononcer la culpabilité des inculpés. La discussion fut reprise en assemblée générale les 8 et 10 avril 1823 [, tome XXXIX, p. 208, 260]. Le comte Cornet et le marquis d'Orvilliers prirent longuement la parole. Ce dernier s'éleva contre la désignation précise des fonctionnaires et dignitaires justiciables de la Cour des pairs, préférant y substituer des termes plus généraux. Le comte d'Aguesseau s'opposa à la demande d'ajournement déposée dès le 8 avril, prévenant les pairs que la seule conséquence de l'examen de cette proposition de loi était le rejet ou l'adoption. Le comte Ferrand déplora l'attitude de la Chambre qui préférait éluder les problèmes. Malgré les vains efforts du comte Ferrand et du comte d'Aguesseau, la Chambre décida l'ajournement et s'en remit à l'initiative de la Couronne pour voir régler cette question. Ibidem
Les dernières années du régime virent encore des tentatives pour régler ce problème, mais celles-ci ne devaient pas plus aboutir que les précédentes. Le 13 mai 1828 [, tome LIV, p. 11, 164], le vicomte Lainé déposa sur le bureau de l'Assemblée une proposition de loi qui avait pour objet de "supplier Sa Majesté de faire présenter une loi qui règle tant à raison de la matière qu'à raison des personnes la compétence de la Cour des pairs et les formes de procédure à suivre...". Le 21 mai 1828 [, tome LIV, p. 11, 164], l'ordre du jour appela en dernier lieu le développement de la proposition soumise à la Chambre dans sa dernière séance. Après l'exposé des motifs, le vicomte Lainé rappela toutes les tentatives précédentes de régler le problème jusqu'en 1823 ; puis, il poursuivit [, tome LIV, p.166 et suiv.] : IbidemIbidemIbidem
"En créant la Chambre des pairs comme corps politique, elle [la Charte] a voulu lui donner un pouvoir judiciaire inhérent à sa constitution et propre à pondérer les autres pouvoirs de l'État. C'est ainsi qu'elle lui donne sur ses propres membres une juridiction exclusive (art. 34), qu'elle lui défère le jugement des ministres lorsqu'ils sont accusés de trahison et de concussion (art. 55), qu'elle lui attribue la connaissance des crimes de haute trahison et des attentats à la sûreté de l'État qui seront définis par la loi (art. 33) ; cette dernière attribution était la première dans la pensée du législateur, car elle précède même la juridiction exclusive déclarée appartenir à la Chambre sur ses propres membres. Cependant la Chambre peut être privée de cette attribution... et l'on a vu des crimes de ce genre jugés dans le même temps et par la Cour des pairs et par des cours d'assises, et par des conseils de guerre..."
Après un long développement sur l'incertitude de la compétence de la Chambre des pairs, le rapporteur conclut :
"La chose évidente, la chose incontestable, c'est que l'état actuel d'incertitude et de fluctuation où se trouve la Chambre des pairs doit avoir un terme, soit pour sa dignité et la sécurité publique, soit pour le maintien de la constitution."
La commission qui fut chargée du problème était composée du vicompte Lally-Tolendal, du marquis de Maleville, du comte Molé, du marquis de Pastoret, du comte de Pontécoulant et du marquis de Talaru. Le 19 juillet 1828 [, tome LVI, p. 222, 442, 443], le comte Molé, au nom de la commission, prit la parole : Ibidem
"... Ce qui serait utile à rechercher aujourd'hui, c'est comment des tentatives si répétées de la part des deux Chambres et du Gouvernement lui-même, n'ont point eu de résultat ; comment une lacune dont tout le monde se plaint n'a pu être remplie, une nécessité que tout le monde reconnaît n'a pu être satisfaite..."
Il exprima ses craintes des modifications que pourrait subir le projet de loi en passant devant la Chambre des députés et conclut :
"... Ce n'est pas vous, Messieurs, ni le noble auteur de la proposition qui croiriez agrandir la pairie en étendant ses attributions judiciaires au delà de celles que la Charte lui donne. La Chambre des pairs a mieux compris son existence et a placé dès son origine toute sa force dans les services qu'elle rend. Elle ne voit dans ses attributions que des devoirs et ne demande qu'à les remplir..."
L'examen des conclusions du rapport de la commission fut cependant renvoyé à une date ultérieure, et le 26 juillet 1828, la Chambre se résolut à un nouvel ajournement, la session étant trop avancée pour engager la discussion d'un projet important.
Là s'arrêtent, pour la période qui nous intéresse, les tentatives des pairs pour définir leur compétence en matière judiciaire. Tous les problèmes maintes fois évoqués restaient en suspens, et, après l'affaire des Marchés de Bayonne, aucun procès ne vint leur rappeler leur devoir de définir leur rôle de juges. Ce n'est que sous le régime suivant, avec les lois des 10 avril 1834 et 9 septembre 1835, que sera notamment précisée la notion d'attentat contre la sûreté de l'État commis par les associations et par voie de presse, et élargi considérablement le domaine de la juridiction de la Cour des pairs.
Des sept affaires jugées sous la Restauration, certaines ont eu un grand retentissement, comme le procès du maréchal Ney ou l'assassinat du duc de Berry ; d'autres, au contraire, sont restées assez obscures, telles les affaires Saint-Morys et Selves.
. Procès du maréchal Ney
La série des procès politiques de la Haute Cour s'ouvre sur le procès intenté au maréchal Ney, accusé de haute trahison après son ralliement à l'Empereur débarqué de l'île d'Elbe.
Le maréchal fut d'abord traduit devant le Conseil de guerre de la première division militaire qui se déclara incompétent. Cette déclaration d'incompétence indigna le parti ultra qui mit "tant de hâte à faire saisir la Chambre des pairs... que l'arrêt de la Haute Cour parut dans la suite plus accordé à la nécessité qu'à la justice" [Eugène Pierre, , Paris, 1877]. Histoire des assemblées politiques en France du 5 mai 1789 au 8 mars 1876..., tome Ier, 1789-1831
La procédure de cette affaire figure sous les cotes 499 et 500. Le premier article contient les pièces provenant du Conseil de guerre, pièces qui ont été jointes aux documents du procès proprement dit instruit par la Chambre des pairs, conservés sous la cote 500.
Ce procès a fait l'objet, dès 1815, d'une publication de l'assemblée : . Paris, 1815 (paginé 1-150 et 1-25 ; les pages 1-25 constituent la table des matières). Chambre des pairs de France. Procès-verbal des séances relatives au jugement du maréchal Ney (novembre et décembre 1815). Ce procès-verbal contient 17 numéros, auxquels on a joint l'acte d'accusation et une table des matières
Le procès-verbal imprimé contient, il est vrai, divers documents insérés, tels le discours du duc de Richelieu, président du Conseil, les ordonnances royales des 11 et 12 novembre 1815, le réquisitoire du procureur général, l'acte d'accusation et, naturellement, les avis des pairs sur le rôle judiciaire de l'assemblée. Les actes de procédure sont publiés mais il n'en reste pas moins que les documents originaux conservent leur valeur propre pour ce procès et encore plus pour ceux qui suivront. Le juriste peut préférer les documents imprimés qui lui fourniront plus d'éléments sur l'évolution de la Chambre haute comme cour de justice, mais l'historien trouvera dans les pièces originales, papiers saisis, correspondance, interrogatoires et témoignages divers une moisson plus intéressante. Dans le cas précis de ce procès, les papiers émanant du Conseil de guerre n'ont pas fait l'objet d'une publication par l'assemblée.
. Affaire Saint-Morys
En 1818, la Chambre des pairs fut constituée en cour de justice pour connaître la plainte de la comtesse de Saint-Morys contre le duc de Gramont, pair de France, et contre le duc de Mouchy et le prince de Poix, en homicide involontaire et complicité d'homicide involontaire commis sur la personne du feu comte de Saint-Morys. L'affaire fut portée devant la Chambre des pairs en raison de l'appartenance à cette assemblée du duc de Gramont.
Cette affaire éclaire d'un jour particulier les problèmes posés par les ventes de biens nationaux. Au retour d'émigration, le comte de Saint-Morys revint dans son château d'Hondainville vendu entre-temps comme bien national à un certain Barbier Dufay. L'ancien propriétaire s'établit dans des bâtiments de "basse-cour" hérités de sa mère, l'acquéreur national occupant le corps de logis principal. Les relations entre l'ancien et le nouveau propriétaire ne pouvaient être que tendues, et mille tracasseries surgirent aussitôt. Le retour des Bourbons n'améliora pas les choses : le comte de Saint-Morys devint maire d'Hondainville et Barbier Dufay fut mis en demi-solde. Une affaire de duel, souhaité par Barbier Dufay et que le comte de Saint-Morys n'envisageait pas avec empressement, se greffa sur ces querelles de mauvais voisinage. Le duc de Gramont, le duc de Mouchy et le prince de Poix furent les conseils du comte de Saint-Morys dans cette affaire compliquée de considérations sur l'honneur militaire. Le duel eut lieu aux Tuileries, et le comte de Saint-Morys y laissa la vie. Mme de Saint-Morys "égarée par la douleur" se retourna en vain contre les conseillers de son mari.
Ce procès, qui se termina par un non-lieu, fit l'objet d'une publication de la Chambre des pairs : ... (paginé 1-63). Chambre des pairs constituée en cour de justice. Affaire Saint-Morys. Procès-verbal unique. Session de 1817. Séance du samedi 31 janvier 1818
. Affaire Selves
Dans cette affaire, un autre pair, le baron Séguier, premier président de la cour royale de Paris, fut mis en cause par Jean-Baptiste Selves qui imputait au baron Séguier plusieurs dénis de justice et actes arbitraires. Selves, ancien avocat au parlement de Toulouse avant la Révolution, fut nommé juge au tribunal criminel de la Seine sous le Consulat, mais ne fut pas renouvelé dans ses fonctions en 1811. De ce jour, il se livra à une dénonciation violente des tares de la justice, attaquant avec emportement les avoués et les magistrats. Le baron Séguier fut au nombre de ces derniers.
Les pièces du procès se trouvent en 502 et le procès-verbal de la séance de la Chambre des pairs du 17 juillet 1819 a fait l'objet d'une impression de l'Assemblée : ... (paginé 1-80). Chambre des pairs constituée en cour de justice. Affaire Selves. Procès-verbal unique. Session de 1818. Séance du samedi 17 juillet 1819
. Affaire du 13 février 1820
Le 13 février 1820, le duc de Berry fut assassiné à l'Opéra par Louis-Pierre Louvel. La cour royale de Paris, par un arrêt du 14 février, évoqua à elle l'instruction de ce crime mais, aux termes de la Charte, cet attentat fut déféré à la Cour des pairs en raison de la personne du duc de Berry, héritier de la Couronne. En effet, l'attentat contre la personne du roi ou de son héritier entrait dans la catégorie des crimes contre la sûreté de l'État. La première instruction est jointe aux pièces du procès instruit par la Cour des pairs et est conservée sous la cote 503.
Ce procès a fait l'objet d'une publication : . Paris, 1820 (paginé 1-173 et 1-13). Cour des pairs de France. Procès-verbal des séances relatives au jugement de Louis-Pierre Louvel. 1820. Ce procès-verbal contient 14 numéros, auxquels on a joint une table des matières
C'est à l'occasion de ce procès que la Chambre des pairs prit officiellement le titre de Cour des pairs.
Plus encore que dans les procès précédents, les documents imprimés et les papiers originaux présentent un intérêt différent : discussions juridiques, avis des pairs, évocation du rôle judiciaire de la Chambre haute pour les premiers, papiers saisis, lettres personnelles et surtout interrogatoires de témoins pour les seconds. La longue enquête menée aux quatre coins de la France à la recherche d'un hypothétique complot, dépasse le loin la personne de Louis-Pierre Louvel. Les documents conservés dans les liasses 503 à 514 contiennent des centaines d'interrogatoires et de témoignages spontanés. Le moindre incident ou propos imprudent déclenchait une enquête qui ne pouvait aboutir, mais dans l'esprit des juges, rien ne devait être négligé pour faire découvrir les causes de cet attentat, et les ramifications d'un complot auquel croyaient les autorités. Mille faits de la vie quotidienne sont rapportés qui, sans ces papiers, auraient disparu : réunions séditieuses, manifestations en faveur de Napoléon ou de son fils, propos antiroyalistes ou simplement interprétés comme tels. Au hasard des dossiers, surgissent les noms de Benjamin Constant, mis en cause, de Chateaubriand, empressé de transmettre à la justice une dénonciation anonyme. L'ensemble de ces documents pourrait sans doute être utile pour une étude des mentalités dans le premier quart du XIXe siècle, ou pour un essai sur l'esprit public pendant cette même période.
. Affaire du 19 août 1820
Cette affaire est liée aux troubles qui marquèrent l'année 1820. Après les bagarres qui se déroulèrent devant le Palais-Bourbon et au cours desquelles l'étudiant Lallemand fut tué (5 juin 1820), et après l'enterrement de ce dernier, qui donna lieu à des incidents, une vive opposition des libéraux se manifesta dans les deux Chambres. Des pairs et des députés se réunissaient et songeaient à s'emparer du pouvoir selon un processus qui avait réussi en Espagne : soulèvement de garnisons et prise du pouvoir. Un complot regroupait à cette même époque un certain nombre d'officiers et de sous-officiers en demi-solde au "Bazar français", rue Cadet à Paris. Le complot militaire du 19 août 1820 fut la tentative maladroite et vite dénoncée de ces conjurés. Peut-être y eut-il un lien entre les parlementaires et les officiers ; l'indulgence dont fit preuve la Cour des pairs (24 acquittés sur 34 accusés), le peu d'empressement à pousser l'enquête à fond pourraient le laisser supposer. Ces papiers n'en demeurent pas moins intéressants pour une étude de l'état d'esprit des milieux de l'Armée sous la Restauration.
Les pièces originales du procès sont conservées sous les cotes 515 à 534.
Le procès-verbal des séances relatives au jugement de cette affaire, qui se déroula en 1821, a été publié : Paris, 1822. Cour des pairs de France. Affaire du 19 août 1820. Procès-verbal des séances relatives au jugement de cette affaire. Ce procès-verbal contient 462 pages d'impression. On y a joint une table des matières.
. Affaire du Drapeau blanc
Cette affaire (condamnation du rédacteur en chef du journal à un mois d'emprisonnement et à cent francs d'amende pour délit d'offense envers la Chambre des pairs) est de nature différente. En effet, l'article paru dans le numéro du journal du 17 février 1823, relatif à la dotation des pairs de France, a fait l'objet de poursuites en raison de l'article 11 de la loi du 17 mai 1819 qui déterminait la peine applicable en cas d'offense envers les Chambres par le moyen d'une publication, et de l'article 15 de la loi du 25 mars 1822 qui autorisait les Chambres, en cas d'offense envers elles, à faire traduire le prévenu à leur barre. Le Drapeau blanc
Les pièces du procès conservées sous les cotes 535 n'ont pas fait l'objet d'une publication particulière.
. Affaire des marchés de Bayonne (contre Ouvrard et autres)
A la suite d'un pronunciamento militaire qui avait contraint Ferdinand VII à convoquer les Cortes et à accepter des réformes, le roi d'Espagne, désireux de recouvrer son pouvoir absolu, fit appel à la France. Villèle, d'abord opposé à une intervention militaire, céda aux pressions du parti ultra et fit voter par la Chambre un crédit de cent millions pour couvrir les frais de l'expédition.
La guerre d'Espagne (avril-novembre 1823) et les rapides succès remportés par l'armée française permirent la consolidation du pouvoir royal en Espagne et relevèrent le prestige et la gloire des Bourbons en France.
Mais cette expédition coûta cher, d'autant que le duc de Bellune, ministre de la Guerre, incapable d'en assurer le ravitaillement, s'en remit à Gabriel-Julien Ouvrard, spéculateur plusieurs fois condamné sous la Révolution et sous l'Empire et même privé du droit de signer un marché sous son nom. Ouvrard fut néanmoins nommé munitionnaire général de l'armée d'Espagne en 1823 ; on lui confia les approvisionnements militaires de Toulouse et de Bordeaux et les sommes nécessaires pour faire des achats sur le territoire espagnol. L'opinion publique s'émut du coût de cette opération militaire, et le 10 février 1825 une plainte en corruption et escroquerie fut déposée au parquet de la cour royale de Paris. On nomma une commission d'enquête. Des masses énormes de documents furent saisies, des commissions rogatoires furent délivrées ; les investigations furent poussées jusqu'en Espagne.
Le 10 février 1826, une plainte du procureur du roi contre Ouvrard et ses complices relativement à des faits de corruption provoqua une ordonnance royale confiant à la Cour des pairs l'instruction et le jugement de cette affaire. Les pièces du procès, les documents saisis (correspondance et surtout pièces comptables), les nombreux mémoires imprimés, les interrogatoires sont conservés sous les cotes 536 à 545.
La Cour des pairs publia un procès-verbal : ..., Paris, 1826 (paginé 1-97). Cour des pairs. Affaire des marchés de Bayonne. Procès-verbal
L'inventaire des sept procès politiques jugés par la Cour des pairs sous la Restauration ne posait aucun problème de méthode : les papiers de ces procès avaient été classés avec soin par l'archiviste de la Chambre des pairs, Cauchy, et avaient reçu une cotation précise et complexe qui a été conservée. Ce qui explique la numérotation quelquefois discontinue des dossiers et sous-dossiers ; cependant il nous a paru préférable de respecter la numérotation ancienne des dossiers, non seulement parce que ces cotes, déjà utilisées comme références par les historiens, peuvent se trouver dans divers ouvrages imprimés, mais aussi parce que cette cotation d'origine rend compte de la logique interne du fonds.
Jeannine CHARON-BORDAS.

Cote :

CC//499-CC//545

Publication :

Archives nationales
1982

Localisation physique :

Pierrefitte-sur-Seine

Identifiant de l'inventaire d'archives :

FRAN_IR_003373

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