Article : Cartographier les réseaux et initiatives en matière d’archives privées : un enjeu stratégique de développement et de sauvegarde pour le patrimoine hexagonal

Les archives privées offrent une richesse indubitable et entrent en nombre dans les collections publiques, à titre gratuit (don(ation)s, legs) ou onéreux (achats, dations), avec des formes et des contenus très variés : archives familiales, papiers de fonctions, documents historiques, archives d’entreprises, fonds photographiques, archives d’architectes, etc.
Le cadre stratégique commun de modernisation des archives adopté pour la période 2020-2024 leur accorde une place de choix dans la stratégie nationale de collecte des services publics, en même temps qu'il appelle à « mobiliser les réseaux pour mieux évaluer et collecter les archives publiques et privées  ».
Cette synthèse vise à donner à voir ces réseaux qui, alliant acteurs privés comme publics, oeuvrent à la collecte et à la protection des archives privées: cette connaissance est elle-même un facteur de démultiplication et de dynamisation d’une co-construction efficace.
Il existe d’emblée des typologies immédiatement identifiables, telles que :

 Les archives du monde du travail

L’action menée par les Archives nationales du monde du travail (ANMT) depuis sa création en 1993 à Roubaix en fait un chef de file naturel en la matière : ce service à compétence nationale (depuis 2006) a pour mission centrale la collecte des « archives publiques et privées à caractère national, relatives au monde du travail, produites par des entreprises et des mouvements économiques et sociaux ». 
La création d'un service dédié aux archives du monde du travail s'inscrit dans un vaste courant de prise de conscience de l'importance de la conservation du patrimoine industriel, né dans les années 1980.
Ce centre regroupe à l’heure actuelle des fonds prestigieux, riches et diversifiés (du dossier du militant syndical aux archives de la banque Rothschild), à 90 % d'origine privée : cas unique parmi les services d’archives publics en France.
Son projet scientifique et culturel 2019-2024 s’articule autour de la reconstruction de l'identité des ANMT, en questionnant le périmètre et la stratégie de collecte, et plus particulièrement son  rôle de tête de réseau national des archives du monde du travail .
 Il s’agit donc de redéfinir le concept d’archives du monde du travail, de réviser les interactions et interpénétrations entre institutions et acteurs patrimoniaux en matière de collecte, et partant, de refonder et conforter le réseau des partenaires.

Le patrimoine photographique

La participation du SIAF au Comité national pour le patrimoine photographique, comité thématique du Parlement de la photographie œuvrant sous l’égide de la Délégation à la photographie (aujourd’hui bureau de la photographie au sein de la Direction générale de la création artistique), permet la valorisation des fonds photographiques conservés par le réseau des archives publiques, ainsi que la mutualisation des bonnes pratiques en termes de collecte, mais aussi de gestion des droits et de diffusion - question de plus en plus prégnante du fait de la valorisation marchande de cette typologie documentaire.
Les questions sont multiples sur ce sujet foisonnant, mais celle touchant au patrimoine photographique, sa préservation et sa diffusion demeure au coeur des enjeux contemporains de ce secteur, comme l’illustre le rapport rendu par Sam Stourdzé, directeur des Rencontres d’Arles, en 2018 « sur la conservation et la valorisation des fonds photographiques patrimoniaux  ».
Reflets de ces réflexions croisées, deux projets soutenus par le ministère de la Culture, ont été lancés :

  • la publication d’un ouvrage, Photographies +, consacré aux acquisitions, où celles-ci « seront montrées dans toute leur diversité », précise Anaïs Feyeux chargée de mission à la délégation à la photographie. La première édition a été réalisée  en 2020, recensant les acquisitions effectuées en 2017 et 2018 par 72 institutions (services d’archives, musées bibliothèques, fonds régionaux d’art contemporain).
  • le lancement d’une revue, Photographica destinée à « stimuler et favoriser la diffusion de la recherche dans le domaine du patrimoine photographique  » .

Les archives relatives à la jeunesse et à l’éducation populaire

Le Pôle de conservation des archives privées de la Jeunesse et de l’Education populaire (PAJEP) est un dispositif créé en 1999, avec pour objectifs la mise en place et l’animation d’une politique de collecte et d’archivage des archives privées des acteurs et fondateurs du mouvement et des associations « Jeunesse et Education populaire », ainsi que la communication et la mise en valeur de ces fonds. 
Une convention associe les partenaires suivants : ministères de la Jeunesse et des Sports et de la Culture, Archives nationales, Département du Val-de-Marne et Association des déposants aux archives de la Jeunesse et de l’Education populaire (ADAJEP).
Le site du PAJEP est actuellement hébergé par les Achives départementales du Val-de-Marne, illustration  de cette association forte avec les archives publiques.
Il s’appuie sur le Fonds de coopération de la jeunesse et de l’éducation populaire (FONJEP), organisme créé en 1964 et co-géré par l’État, les collectivités et les associations : véritable pôle de ressources, il a pour mission de renforcer le développement des projets associatifs de jeunesse et d’éducation populaire. 
Ce réseau, fort de ses vingt années d’expérience, atteste de la capacité de mobilisation d’acteurs publics comme privés autour de la préservation de fonds d’archives privés, et illustre avec une belle efficacité le dynamisme qui anime ces structures.

Les archives de l’histoire de la protection de la nature et de l’environnement

L’Association pour l’histoire de la protection de la nature et de l’environnement (AHPNE) créée en 2009, s’appuie sur un réseau de personnes et de partenaires porteurs de cette histoire comme acteurs ou témoins et d’autres intervenants, issus de la communauté scientifique, qui l’étudient, l’interrogent, la mettent en débat et en partage.
La dynamique de coopération et de synergie entre organismes et responsables d’initiatives et projets publics ou privés a permis à ce jour de mettre à la disposition du grand public de nombreuses ressources, à commencer par des inventaires de fonds d’archives privées traitant de la nature et de l’environnement.

Les archives d’architectes

C’est l’ensemble du réseau des archives publiques qui se mobilise -et parfois depuis des décennies- pour collecter et faire connaître des fonds d’archives d’architectes :

  • les services d’archives territoriaux, en fonction d’une politique volontariste ou à la faveur de dons/legs.
  • au niveau national, le Centre d’archives d’architecture du XXe siècle : principal centre d’archives d’architecture en France, il réunit des fonds émanant d’architectes, d’urbanistes, d’ingénieurs ou de décorateurs français actifs depuis la fin du XIXe siècle. Les fonds qu’il réunit sont soit des dépôts de l’État (ministère de la Culture), soit des dépôts de l’Académie d’architecture ou du Conservatoire national des arts et métiers. Le Centre d’archives d’architecture conserve aujourd’hui environ 400 fonds d’archives représentatifs de nombreuses périodes et tendances de l’architecture française du XXe siècle.

La présentation des fonds, les biographies des architectes et les inventaires illustrés sont consultables en ligne dans l’application ArchiWebture, qui présente l’ensemble des fonds du Centre d’archives d’architecture: chaque fonds fait l’objet d’une présentation intégrant une biographie, des repères bibliographiques, des informations sur le fonds et souvent une sélection d’images de documents d’archives. Les répertoires sommaires des fonds sont consultables au format PDF. Les inventaires détaillés, réalisés dans la base de données Archiwebture pour 200 fonds environ, peuvent être interrogés selon des modules de recherche simple ou approfondie qui permettent des recherches sur l’ensemble des inventaires. 
Autre outil existant de longue date pour faire connaître les corpus documentaires et les initiatives, la  revue Colonnes, éditée par la Cité de l’architecture et du patrimoine et publiée avec le  soutien du Service interministériel des Archives de France: ce bulletin de liaison annuel des centres d’archives d’architecture rend compte des manifestations spécifiques (journées d’étude sur les archives, techniques de restauration, méthodologie) et constitue un lien privilégié avec les institutions et chercheurs concernés par la conservation des archives d’architecture. 
Dans le cadre de la nouvelle stratégie nationale pour l’architecture, une mission d’étude a été lancée en 2018 par l’Inspection générale des patrimoines sur les archives d’architectes, visant à produire un état des lieux de ces actions et opérateurs, et à proposer une nouvelle dynamique de sauvegarde et de valorisation.

Les archives relatives à l’économie sociale et solidaire

Une réflexion est à l’ébauche au sein du Cédias-Musée social, -dont les collections (bibliothèque et archives) sont classées « archives historiques » depuis 2008, et qui s’est agrégé récemment au Campus Condorcet-structure regroupant une dizaine de bibliothèques d'établissements supérieurs de recherche en sciences sociales : il s’agit en effet d’envisager les modalités d’une valorisation et d’une protection matérielle et juridique plus fortes de ces fonds.
À côté de l'histoire sociale, l'activité actuelle de la fondation concerne l'action sociale contemporaine. Sa mission est la réflexion sur les actions sociales et les grands problèmes sociaux en favorisant les études, les échanges, l'information et la documentation. 
Le Musée social a été fondé en 1894 sous la forme d'une fondation privée reconnue d'utilité publique, afin de conserver et exposer de façon permanente les documents du pavillon d’Économie sociale de l’Exposition universelle de 1889. Conçu dès le départ comme un véritable institut de recherche, il s'organisait autour de services (industriel, agricole, mutualité…), d'une bibliothèque spécialisée ouverte à tous, de sections d'études et d'enquêtes (hygiène urbaine et rurale, assurances sociales, institutions patronales, institutions coopératives et ouvrières, agricole, etc.), et organisait des conférences publiques gratuites ainsi qu'un service de renseignement.
Le Musée social a eu une influence majeure à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle dans l'évolution des idées, dans la diffusion d’expériences en matière sociale, mais aussi en matière d’urbanisme, d’habitat social, de coopération et de mutualisme.

Sans oublier le réseau de la Cité des mémoires étudiantes, du Collectif des centres de documentation en histoire ouvrière et sociale, etc. : cette liste, bien loin d’être exhaustive, s’enrichira au fur et à mesure de l’alimentation et de l’approfondissement de cette cartographie des archives privées sur le territoire national.

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