Article : Colloque "Des victimes de l’esclavage aux noms de la liberté" (3 février 2022)

Le 27 avril 2018, à l’occasion de la cérémonie célébrant le 170e anniversaire de la signature par le gouvernement provisoire de 1848 du décret d’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises, le Président de la République écrit : « Je souhaite aussi que la République se souvienne des esclaves eux-mêmes […]. Pour que jamais ne s’efface leur souffrance, je soutiens le projet d’ériger à Paris, dans le jardin des Tuileries, un mémorial national qui rende hommage à ces victimes, comme le demandent légitimement plusieurs acteurs de cette mémoire ».

Le 10 mai 2018, le Premier ministre Édouard Philippe précise la nature de la proposition en déclarant : « dès lors, graver dans la pierre la dignité de la personne humaine sera l’objectif du Mémorial qui recensera les quelque 200 000 noms donnés aux esclaves des colonies françaises en 1848 et dans les années qui ont suivi ».

Désignés par un simple prénom ou un surnom, ils obtiennent un état civil complet en se voyant octroyer un nom patronymique. L’opération qui devait durer deux mois s’étendra sur une vingtaine d’années. Ainsi, à partir de 1848, ce sont plus de 200 000 nouveaux libres qui reçoivent un patronyme. Environ 80 000 patronymes différents ont été inventés par des officiers d’état civil, avec un système de noms varié à l’infini : interversion des lettres de mots pris au hasard, anagramme du prénom, noms empruntés à la culture classique, noms de lieux ou de peuples, noms issus de la description morale ou physique ou du métier du nouveau libre, etc. La proportion des noms ridicules ou difficiles à porter est faible (il faut noter que ces patronymes difficiles à porter existent aussi en France).
Ces noms par leur variété représentent une sorte de tout-monde, dès le milieu du XIXe siècle.

L’objectif de ce colloque était de présenter au grand public :

•    l’histoire de la nomination des nouveaux libres dans les sociétés françaises post-esclavagistes,

•    les sources et les acteurs de la saisie des noms des nouveaux libres,

•    la politique mémorielle qui sous-tend la réalisation de ce mémorial,

•    le projet de mémorial national.

Retrouvez les interventions filmées de la journée.

S'y ajoute le discours que Mme Roselyne Bachelot, ministre de la Culture, est venue prononcer au cours du colloque ; il s'est conclu par la signature d'une convention de mise à disposition de l'État, par les associations de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Guyane et de la Réunion (voir les représentants ci-dessous), des listes de noms de nouveaux libres qu'elles ont constituées en vue de la réalisation du Mémorial physique.

"Des victimes de l’esclavage aux noms de la liberté. Pour un mémorial national en hommage aux victimes de l’esclavage"

Ouverture par Bruno Ricard, directeur des Archives nationales, et par Françoise Banat-Berger, cheffe du Service interministériel des Archives de France

Introduction

"D’esclaves à citoyens : évocation du contexte de l’esclavage dans les colonies françaises et son abolition"
par Frédéric Régent, missionné par M. le Premier ministre comme conseiller scientifique du projet du Mémorial des Tuileries

1ère Table ronde

"Le processus d’attribution des noms en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique et à la Réunion : les documents des archives"

1ère partie2e partie

Le décret du 27 avril 1848 fait de plus de 70 % des Guadeloupéens, des Guyanais, des Martiniquais et des Réunionnais, des citoyens français. Cette première table-ronde s’intéresse aux modalités d’élaboration et de conservation des registres des nouveaux libres ou d’individualité.

Intervenants :
Benoît Jullien, directeur des Archives départementales de la Guadeloupe
Georges Rech, directeur des Archives territoriales de Guyane
Karole Fontaine, directrice des Archives territoriales de Martinique
Damien Vaïsse, directeur des Archives départementales de la Réunion

Modérateur : Vincent Cousseau, maître de conférences, Université de Limoges

2e Table ronde

"Entre généalogie, travail de mémoire et recherche, quelles démarches et quelles finalités pour les données nominatives concernant les esclaves ?"

1ère partie - 2e partie

Depuis 1998, l’intensification du travail de sauvegarde et d’accessibilité des sources par les institutions d’archives s’est nourrie d’une grande demande du public : recherche individuelle de son histoire familiale plongeant dans le passé esclavagiste, initiatives associatives, amples travaux de chercheurs en histoire sociale pour sortir du silence voire du déni.
De simples sources démographiques, l’état civil concernant la population esclave, et particulièrement les registres des nouveaux libres, sont devenus des objets de mémoire. Les projets collectifs pour établir des bases de données nominatives systématiques constituent un travail de mémoire, dont la mise en commun aujourd’hui pourrait répondre à de multiples enjeux de connaissance historique et de mémorialisation de l’esclavage.
La table ronde a pour objet d’éclairer les démarches, les difficultés, les limites et d’envisager la façon dont ces dépouillements, jamais achevés, peuvent être utiles au plus grand nombre grâce aux technologies numériques, sur le plan de l’histoire générale et individuelle, et sur celui de la construction de mémoires partagées et apaisées.

Intervenants :
Alex Bourdon, président de l'AMARHISFA (Association Martiniquaise de Recherche sur l'Histoire des Familles)
Gilles Gérard, historien et anthropologue de la Réunion
Jean-Yves Prudentos, CM98, Guadeloupe
Kristen Sarge, directeur Musées et Patrimoine, collectivité territoriale de la Guyane
Jacqueline Zonzon, responsable de l’association des professeurs d’histoire-géographie de la Guyane

Modératrice : Dominique Taffin, directrice de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage et de ses abolitions

Grand témoignage

"Un Mémorial aux victimes de l’esclavage : quels objectifs ?"
par Serge Romana, membre du comité d'orientation du Mémorial

3e Table-ronde

"La nécessité d’un mémorial des victimes de l’esclavage"

1ère partie - 2e partie

Grâce au travail considérable de recherche en archives et de documentation réalisé par les acteurs de la mémoire et les chercheurs, les noms et prénoms des nouveaux libres sont destinés à être inscrits de manière permanente dans l’espace public, sous une forme et selon des modalités à concevoir par l’artiste qui sera retenu. Ces noms, différents de ceux des maîtres, attribués par des officiers d’état civil, constituent un symbole fort de leur entrée dans la citoyenneté.

La mise en valeur de ces noms, aujourd’hui portés par des millions de Français, facilitera l’affiliation de ces derniers à leurs aïeux. Ces noms exposés permettront à tous de se souvenir et de rendre hommage à ces hommes et à ces femmes qui ont souffert de l’esclavage.

Le projet de Mémorial est le résultat d’un travail de mémoire développé depuis la marche du 23 mai 1998. Celui-ci a comme objectif d’inverser la valence du stigmate de l’esclave pour combattre une mémoire triste de l’esclavage, une mémoire pleine de ressentiment. Un de ces axes forts est la construction de monuments portant les noms des esclaves exhumés des archives après un travail de plus de 20 ans réalisé par quelques associations mémorielles. De tels monuments de ce type ont éclos depuis 2013 en région parisienne, en Guadeloupe, en Guyane et en Martinique. La profonde émotion qui accompagne les cérémonies d’hommage aux esclaves autour de ces monuments, les longues files des descendants qui « viennent retrouver le nom de leurs aïeux » lors de ces cérémonies, démontre à quel point ceux-ci servent le traitement de la honte de l’origine servile et de la désaffiliation des descendants à leurs aïeux. L’édification du mémorial national des victimes de l’esclavage dans les jardins des Tuileries devrait permettre d’amplifier ce travail mémoriel. Il devra être un outil de dialogue avec d’autres lieux de mémoire comme les vestiges des plantations, les ports négriers ou les sites de la route des abolitions.

Intervenants :
Sonia Chane-Kune, essayiste, membre du comité d’orientation du Mémorial, Réunion
Emmanuel Gordien, président du CM98
Marie-José Alie-Monthieux, artiste et écrivaine, membre du comité d’orientation du Mémorial, Martinique

Modérateur : Frédéric Régent, conseiller scientifique du projet du Mémorial des Tuileries

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