Page d'histoire : Richard Coeur de Lion Oxford, 1157 - Châlus (Haute-Vienne), 6 avril 1199

Gisant de Richard Cœur de Lion dans la cathédrale de Rouen

Nombreuses sont les figures de grands personnages qui ont marqué l'histoire de l'Occident aux XIe et XIIe siècles. Mais souvent le souvenir de leurs actions s'est affaibli et l'évocation de leur nom ne suffit pas à faire surgir à la mémoire leur caractère propre, leurs vices ou leurs vertus, en un mot l'originalité de leur personne.

Rien de tel en ce qui concerne Richard Cœur de Lion : pour le grand public, aujourd'hui encore, son nom recouvre et appelle l'image d'un prince empli de bravoure, meneur d'hommes dans de grands combats épiques, payant de sa personne pour défendre le droit contre l'iniquité au risque de subir la persécution et la prison. C'est ainsi que le peint la légende qui a traversé les siècles. Les historiens et les chercheurs ont beau avoir apporté leurs critiques, voire leurs démentis, elle n'en est pas moins restée vivante, d'autant que des comparses mythiques s'y sont agrégés, comme le fameux hors-la-loi Robin des Bois, qui par fidélité à son maître mène la résistance contre les usurpateurs du pouvoir.

Ce qui a fait la fortune du personnage aux yeux de la postérité et lui conserve son panache tient à ce qu'il rassemble en sa personne la plupart des éléments de la remarquable civilisation du XIIe siècle. Né à Oxford en 1157, fils du duc de Normandie et roi d'Angleterre Henri II Plantagenêt et de la duchesse-reine Aliénor d'Aquitaine, il est élevé à la cour de Poitiers, brillant foyer de culture où se produisent musiciens et troubadours, initiateurs d'un nouvel art de vivre fondé sur l'amour courtois. A leur école, Richard deviendra lui-même poète, les protégera et favorisera la diffusion de leurs œuvres.

Lors de l'hommage que rend son père Henri II au roi de France Louis VII en 1169, le prince est reconnu comme futur détenteur de l'Aquitaine, alors qu'à son frère aîné, Henri le Jeune, reviendront l'Angleterre, la Normandie et les fiefs patrimoniaux des Plantagenêts, l'Anjou et le Maine. A partir de 1171, Aliénor, sa mère, le présente comme son héritier aux barons aquitains, mais la dévolution du pouvoir est fictive et, comme Henri II s'en réserve la réalité, la reine et ses fils se révoltent contre lui. La rébellion échoue et Richard en tire la leçon : il se réconcilie avec son père qui le charge de mettre à la raison dans des campagnes successives de 1174 à 1183 les seigneurs aquitains.

Jusque là le prince n'a fait preuve que d'opportunisme. Tout change avec la mort de son frère Henri le Jeune : il revendique sa désignation comme héritier des fiefs du défunt et de la succession au trône d'Angleterre. Henri II refuse. De dépit, Richard porte son hommage au roi de France Philippe Auguste. Avec lui, il attaque son père et le contraint à se réfugier à Chinon, où le vieux roi meurt le 6 juillet 1189.

C'est donc au terme d'une très dure période de luttes féodales que Richard devient roi à trente-deux ans. Commence alors pour lui la partie la plus brillante de son existence : pendant dix ans, de 1189 à 1199, il va se trouver au premier plan de la scène internationale. Le sultan Saladin a occupé presque toutes les places du royaume de Jérusalem après le désastre subi par les Chrétiens à Hâttin en 1187. Richard part avec le roi de France à la tête de la croisade qui va tenter de reconquérir la Terre sainte.

Après un hivernage en Sicile où il s'efforce de régler la situation de sa sœur Jeanne, veuve du roi Guillaume II, Richard reprend la mer et s'empare de Chypre qui demeurera un royaume chrétien pendant plusieurs siècles. Ayant à peine trouvé le temps d'épouser la princesse Bérengère de Navarre, le roi d'Angleterre rejoint le roi de France devant Saint-Jean d'Acre. Le siège, engagé depuis longtemps, se termine alors rapidement en juillet 1191. Malgré la défection de Philippe Auguste qui l'abandonne pour rejoindre son royaume, Richard engage ses forces contre Saladin et les victoires se succèdent. Mais, incapable de prendre puis de tenir Jérusalem, le roi préfère traiter avec l'adversaire qui consent à assurer la liberté de pèlerinage vers la ville sainte.

Richard veut rentrer au plus vite pour mettre fin à la collusion de son frère Jean avec Philippe Auguste, qui a commencé à s'emparer de ses terres. Or, il joue de malchance : détourné vers l'Adriatique par le mauvais temps, il débarque en Dalmatie et il est capturé, alors qu'il traverse l'Autriche, par l'archiduc Léopold, son ennemi. Remis à l'empereur Henri VI Hohenstaufen, qui lui est également hostile, il restera prisonnier de 1192 à 1194. Libéré moyennant une très forte rançon, il entreprend de faire rendre gorge à Philippe Auguste. Affrontements et trêves, prises et constructions de places fortes, notamment le célèbre Château-Gaillard aux portes de la Normandie, préludent à une entente. Richard en profite pour marcher contre un de ses vassaux aquitains, le vicomte Aimard V de Limoges, précédemment passé à l'ennemi, et il met le siège devant son château de Châlus : il y est mortellement blessé et meurt le 6 avril 1199. Son corps est inhumé dans la nécropole de l'abbaye de Fontevraud et son cœur conservé à Rouen.

La vie de ce personnage, rendue plus pittoresque encore par ses aventures exotiques, ses malheurs et sa fin tragique, donne l'occasion d'évoquer toutes les facettes de la civilisation du XIIe siècle, marquée par la découverte de l'Autre, qu'il s'agisse de la Femme ou de l'Infidèle. Au-delà des structures féodales, se développent des réseaux, dont font partie les cours, les monastères, les communautés urbaines. Les échanges sont fructueux dans le choix du cadre de vie. La grande architecture romane, les arts décoratifs, notamment l'enluminure et l'émail, ainsi que la musique et la poésie entourent d'un éclat particulier la figure de Richard Cœur de Lion. Et il faut constater que l'unité de la civilisation européenne de ce temps fut singulièrement favorisée par les princes Plantagenêts qui régnèrent sur l'Angleterre et la moitié de la France actuelle et encore sur une très grande partie de l'Europe par l'intermédiaire des lignages alliés.

Ivan Cloulas
conservateur général du patrimoine
président de la Route historique des Plantagenêts

Source: Commemorations Collection 1999

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