Page d'histoire : Marcel Arland Varennes-sur-Amance (Haute-Marne), 5 juillet 1899 - Brinville (Seine-et-Marne), 21 octobre 1986

© Roger-Viollet

Marcel Arland est entré en littérature comme on entre en religion. Paradoxalement c'est un saint que l'on reconnaîtra chez cet agnostique convaincu, un "saint en littérature" qui a consacré sa vie entière à une écriture, à un combat où s'opposent ombre et lumière. Mais il importe que se dégagent de ce combat une éthique, une façon d'être et de vivre, principes qui trouveront leur résonance dans l'enseignement que ce "moraliste" dispensera à l'École du Montcel à Jouy-en-Josas jusqu'à ce que le prix Goncourt, obtenu en 1929 pour son roman L'Ordre, lui assure une totale indépendance. Publié en trois volumes, il s'agit d'un grand récit quasi autobiographique dont le héros, Gilbert, verse dans une espèce de nihilisme qui, non sans grandeur, entraîne dans le drame tous ceux liés à son destin.

Très tôt orphelin de père, cet enfant de la Haute-Marne rêve d'espaces plus vastes ou plus lointains que ceux assignés par sa province boisée. Sans rupture toutefois avec les paysages de l'enfance, naîtra ce goût d'une errance souvent abstraite et du nomadisme qui sous-tend son œuvre.

D'abord élève au collège de Langres, où il découvre sa vocation dans la lecture de Stendhal, de Baudelaire et de Barrès, son entrée à la Sorbonne en 1919 confortera ses ambitions. Responsable de la partie littéraire de la revue de l'Université de Paris, il y publie ses premiers textes et obtient la collaboration de Proust, Mauriac, Cendrars et Giraudoux.

Face aux désordres engendrés par la Première Guerre mondiale, face aux injustices sociales, Marcel Arland commence sa carrière dans la révolte et la contestation de la société et de l'art statique. Élève-aspirant, sa rencontre dans le même peloton avec les futurs écrivains que sont Dhôtel, Vitrac, Crevel, le conduit à fonder en 1920 la revue d'avant-garde Aventure et à adhérer au dadaïsme. Cherchant un remède à ce qu'il nomme "un nouveau mal du siècle", parce qu'il a foi en l'art de l'écrivain, en quête d'une évaluation morale, c'est finalement dans la solitude, après avoir rompu avec Breton, qu'il cherche le salut. Il se lie alors avec Malraux duquel le rapproche l'amour de la peinture – Janine qu'il épouse en 1930 est peintre – et la conviction que "tout ce qui n'est pas essentiel ne compte pas...". Après la publication, en 1923, de Terres étrangères, l'estime d'André Gide, de Valéry-Larbaud et de Rivière lui vaudra de collaborer à la Nouvelle Revue Française qu'il ne quittera plus, excepté durant l'Occupation où il déclinera l'invitation de Drieu La Rochelle, pour s'enfermer à l'abri des agitations suspectes dans sa maison de Brinville, près de Paris. Période sombre et recluse durant laquelle il entreprendra différents essais. Après la publication d'une Anthologie de la poésie française (1941), il poursuivra son œuvre avec Sur une terre menacée (1941), Zélie dans le désert (1944).

Après la Libération, Arland déploie une immense activité critique (Table Ronde, Combat, Arts, Gazette de Lausanne). À la sûreté de son jugement, à son souci de la qualité littéraire, à sa conception mystique de la littérature, s'allient une générosité attentive aux jeunes talents, une écoute singulière à toute promesse, fût-elle balbutiante, dès lors que s'y discerne une intention pure dans la conception qui est la sienne d'assurer la transmission de l'héritage littéraire français. Ainsi, il répondra à l'appel de la fille de Paul Desjardins pour présider, de 1950 à 1954, l'association qui, dans le cadre d'un sévère château normand, renouera avec de vieilles amitiés pour redonner un nouvel élan aux fameuses décades de Pontigny.

C'est dans un esprit, presque religieux, qu'il partagera avec Jean Paulhan la direction de la Nouvelle N.R.F. (1953), charge qu'à la mort de ce dernier, en 1968, il assumera seul jusqu'en 1977. à la série d'essais critiques où il explore de grands auteurs classiques (Pascal, Racine, Mme de La Fayette, Marivaux) et quelques-uns de ses contemporains (Alain-Fournier, Saint-Exupéry, Bernanos), s'ajoutent des essais consacrés à la peinture (Georges de La Tour, Rouault, Chagall). L'intensité et la fluidité d'un talent mis au service de grands recueils de récits : L'Eau et le Feu (1956), A perdre haleine (1960), Le Grand Pardon (1965), Attendez l'aube (1970), lui valent une reconnaissance unanime. En 1952, Marcel Arland reçoit le Grand Prix de Littérature de l'Académie Française, en 1960, le Grand Prix national des Lettres. En 1968, il entre à l'Académie française. Cet "explorateur" de l'âme en a révélé toute la complexité en évoquant avec subtilité les instants privilégiés où l'homme "se penche sur son propre drame... avec l'enivrante misère de penser et d'être ému".

Jean-Pierre L. Colle
ancien secrétaire du Centre culturel international de Cerisy

Source: Commemorations Collection 1999

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