Page d'histoire : Constitution de la commission chargée d'étudier la confection du cadastre 11 messidor an X (30 juin 1802)

Plan par masses de cultures de Saint-Rémy-Mal-Bâti (Nord),
30 janvier 1806 Paris CHAN,
section des cartes et plans et de la photographie
© Atelier photographique du Chan

L'étude du cadastre, institution à laquelle les Français sont très attachés ne serait-ce que parce qu'elle touche au droit de propriété, est révélatrice de l'histoire et des coutumes d'un pays et se confond pratiquement avec l'évolution économique des peuples.

Dans sa longue évolution qui va du cadastre chaldéen (6000 ans avant Jésus-Christ) au cadastre d'aujourd'hui, on a coutume, pour la France, d'attribuer une place particulière au cadastre napoléonien qui est à l'origine du cadastre français contemporain.Mais on oublie que celui-ci eut à son origine une expérience originale : la tentative de constitution d'un cadastre par masses de cultures dont l'initiative revient à une commission créée en 1802.

En effet, dès le début de la Révolution en 1790 l'Assemblée constituante supprima les anciens impôts et les remplaça par une contribution foncière unique établie sur toutes les propriétés foncières à raison de leur revenu net.

Pour établir cet impôt de répartition et déterminer sur tout le territoire la contenance et le revenu de ces propriétés la confection d'un cadastre général était, de l'avis de tous, indispensable (dès l'ouverture des États généraux de 1789, 73 assemblées électorales de la noblesse et 58 du tiers état, réclamèrent l'exécution d'un cadastre général).Aussi l'Assemblée constituante, poussée par l'opinion, décida qu'il serait effectué un levé des circonscriptions divisées en sections et que les parcelles composant les sections seraient indiquées sur des plans spéciaux. Cependant l'application de ce levé, à la charge des communes resta limité.Puis le décret du 21 mars 1793 réaffirma, sous la Convention, la nécessité de mettre en œuvre un cadastre d'ensemble.La loi du 22 brumaire an VII (12 novembre 1798) complétée et étendue par la loi organique du 3 frimaire an VII ( 23 novembre 1798) créa l'administration des contributions directes afin d'assurer une plus juste répartition de l'impôt et consacra un mode d'évaluation du revenu des propriétés foncières basé sur le revenu net imposable mais ne précisa pas sur quel fondement technique serait réalisée cette évaluation.Ainsi à l'aube du XIXe siècle le système était toujours basé sur la déclaration des propriétaires et, l'évaluation dans chaque commune du revenu imposable des terres étant de la compétence de répartiteurs, l'imposition demeurait inéquitable et ce d'autant plus que la plupart des mutations entraînées par la confiscation et la vente par l'État des biens du clergé et des immigrés n'avaient pas été prises en considération.

Pour des raisons économiques on va tout d'abord tenter d'établir un système limité fondé sur les masses de cultures. C'est l'arrêté du 11 messidor an X (30 juin 1802) qui créa une commission de sept membres qui proposa la confection d'un cadastre général par masses de cultures. Ce projet fut entériné par un arrêté des Consuls du 12 brumaire an XI (3 novembre 1802) qui en décida l'application dans 1915 communes. Ce projet consistait, en prenant comme support un plan établi à l'échelle du 1/5000, à diviser le territoire communal en masses circonscrites par des limites naturelles. Les terrains cultivés de la même manière et portant des récoltes de même nature étaient réunis en une masse unique puis reportés sur le plan. Dans chacune de ces masses on ne tenait pas compte du nombre de propriétaires de parcelles mais ceux-ci déclaraient la contenance des parcelles possédées.

Si le système mis au point présentait certains avantages et révélait une certaine ambition, sa mise en œuvre s'avéra délicate et difficile. En effet il existait une différence considérable entre les indications données par les propriétaires et les contenances fournies par le plan et, s'agissant d'une répartition par masses, les erreurs concernant les propriétés des uns avaient une répercussion directe sur les propriétés des autres. Aussi l'opération suscita des plaintes des maires, des conseils généraux et des propriétaires et fut suspendue après cinq ans de travaux. Il faut dire que la tâche n'était pas facile, s'agissant de mesurer une étendue de plus de " quarante mille lieues carrées " et d'y reporter plus de cent millions de parcelles.

Mais ce cadastre limité aux masses de cultures initié par la commission du 30 juin 1802 fut directement à l'origine du cadastre parcellaire de 1807 où, à partir d'un arpentage général de toutes les parcelles du territoire, l'on ne distingua plus seulement d'après la nature de culture des terrains mais où l'on tint compte également de la personne des propriétaires.

Il en va du cadastre comme d'autres domaines, c'est à partir d'expériences originales que naissent des systèmes sûrs et performants et à cet égard les promoteurs du cadastre par masses de cultures firent œuvre de pionniers.

Stéphane Lavigne
docteur d'État en Droit
maître de conférences à l'université Paris-Sud
avocat à la Cour

Source: Commemorations Collection 2002

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