Page d'histoire : Loi organique du notariat 25 ventôse an XI (16 mars 1803)

Pierre-François Réal,
rapporteur de la loi au Conseil d'Etat
© cliché Bibliothèque nationale de France

Guillaume-Jean Favard de Langlade,
rapporteur de la loi devant le Tribunat "galerie des bustes"
Cour de cassation
© DAF célébrations nationales

Le 25 ventôse an XI de la République est promulguée par le Premier consul, sur l’initiative de Cambacérès, la loi organique du notariat français, le réformant profondément, substituant l’harmonie au chaos, mettant fin à des désordres devenus chroniques, au préjudice constant des citoyens.

Ce texte, véritable « code du notariat », naît à une période où la paix d’Amiens, si elle est menacée, n’est pas rompue, et dans un contexte de réorganisation de la France en même temps que d’évolution de son régime politique vers l’Empire, via le Consulat à vie. Viennent de naître le Concordat, la Légion d’honneur, le corps préfectoral. Le Code civil, dont le notariat sera le premier agent d’application, est en gestation.

La décision prise met un point d’orgue à une période de réflexion et de travaux préparatoires ayant occupé les diverses assemblées issues de la Révolution, dont le parallélisme avec la discussion des différents projets de codification – ceux de Cambacérès surtout – est frappant. Elle entérine aussi en droit la disparition de la tentative de réforme l’ayant précédée, c’est-à-dire de la loi dite « des 29 septembre - 6 octobre 1791 », dont l’application s’était avérée déficiente ou impossible, plus peut-être en raison des circonstances que du texte lui-même, imparfait mais non dénué de qualités.

Longuement mûri, le projet avait été présenté le 14 ventôse an XI (6 mars 1803) au Conseil d’État par Réal, puis, le 21 (12 mars), au Tribunat par Favard de Langlade, non pas notaire mais magistrat, sans doute le penseur le plus profond comme le plus prolixe en matière notariale, bien qu’étant le moins connu et le plus plagié. Il sera voté àla quasi-unanimité (cent quatre vingt dix-neuf voix pour et quatorze contre), après avoir été défendu par Jaubert, le 25 ventôse an XI (16 mars 1803).

La nécessité de l’existence du notariat était affirmée en termes non équivoques par celui-ci : « Sans doute, si la foi et la pudeur naturelle exerçaient également leur empire chez tous les hommes, il faudrait beaucoup moins d’actes publics, mais toujours faudrait-il des notaires pour transmettre aux générations qui succèdent la trace de ce qui a été fait par les générations qui ont précédé ». Il confirmait ainsi l’opinion de Réal au Conseil d’État : « Une quatrième institution est nécessaire et à côté des fonctionnaires qui concilient et jugent les différends, la tranquillité appelle d’autres fonctionnaires qui, conseils désintéressés des parties, aussi bien que rédacteurs impartiaux de leurs volontés, leur faisant connaître toute l’étendue des obligations qu’elles contractent, rédigent ces engagements avec clarté, leur donnant le caractère d’un acte authentique et la force d’un jugement en dernier ressort, perpétuant leur souvenir et conservant leur dépôt de bonne foi et enlèvent aux hommes cupides, avec l’espoir du succès, l’envie d’élever une injuste contestation. Ces rédacteurs impartiaux, ces espèces de juges volontaires qui obligent irrévocablement les parties contractantes sont les notaires : cette institution est le notariat ».

De tels principes avaient déjà été invoqués par Le Chapelier lors de la présentation du texte de 1791 et, à la question posée de la nécessité de son existence, il avait été conclu sans équivoque en faveur du maintien du notariat pour deux raisons :
- nécessité de l’authentification ;
- nécessité du devoir de conseil.

Cette notion de magistrature d’une nature spécifique, qui reprend des concepts bien antérieurs à la Révolution, se retrouve tout au long des discours de présentation : « juge volontaire », « juridiction volontaire », « magistrature populaire ».

La loi elle-même, dans nombre de ses dispositions, remet à jour, en les rationalisant, des théories et des idées parfois multiséculaires, répondant à des principes d’exercice du Droit qui sont des constantes. Elle est divisée en trois titres :
- le premier traitant de l’exercice de la fonction et de la rédaction des actes ;
- le second du régime disciplinaire de la profession : nombre de notaires, conditions de nomination, chambres de discipline, garde des minutes ;
- le troisième regroupe les dispositions que l’on appellerait actuellement « transitoires » : maintien des notaires en activité, etc.

Les grandes normes y sont énoncées ou réitérées. La définition de la fonction, tout d’abord, toujours actuelle : « Les notaires sont les fonctionnaires publics établis pour recevoir tous les actes et contrats auxquels les parties doivent ou veulent faire donner le caractère d’authenticité attaché aux actes de l’autorité publique et pour en assurer la date, en conserver le dépôt, en délivrer des grosses et expéditions ». Mais aussi l’inamovibilité, garante de l’indépendance de la décision, le « numerus clausus » motivé - braisons demeurées contemporaines - tant par la détention d’une parcelle de l’autorité publique que par le caractère de dépositaires publics de fonds. Également l’obligation d’instrumenter (un juge ne peut se récuser), l’incompatibilité de la fonction avec d’autres et l’interdiction d’authentifier pour soi-même et pour ses proches (le notaire ne pouvant être juge et partie). Le principe de l’authenticité, résultant de la seule signature du notaire instrumentant, y est réaffirmé avec force.

Son application s’effectua sans problématique majeure sur tout le terri-toire national. Bien plus, elle fut, tout au long du XIX e et pendant la première partie du XX e siècle, la référence et la source rédactionnelle, allant de la paraphrase jusqu’à la reproduction littérale, de la plus grande partie des lois notariales promulguées dans de nombreux pays, tant en Europe qu’en Afrique, en Amérique et en Asie. Récemment encore, des textes créant ou recréant des notariats s’en sont inspirés. C’est pourquoi l’on peut affirmer sans crainte que, à l’instar du Code civil et au même niveau, la loi du 25 ventôse an XI a fait le tour du monde.

Comme en témoigne une publication étrangère (Revista Notarial - Buenos Aires, 1983) : « Les mérites de cette loi quant à son pouvoir d’ordonnancement, de synthèse, sa clarté terminologique et sa précision normative en ont fait l’élément attractif de la législation notariale d’autres pays et lui ont donné la réputation d’inspiratrice de l’organisation notariale la plus moderne ».

Maître Alain Moreau
président de l’Institut international d’histoire du notariat

Source: Commemorations Collection 2003

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