Page d'histoire : L'Architecture considérée sous le rapport de l'art, des moeurs et de la législation de Ledoux 1804

L’Architecture considérée sous le rapport de l’art, des mœurs et de la législation

Le 18 mai 1804, Claude-Nicolas Ledoux (1736-1806) fait paraître le -premier et seul volume d’un livre qui vaut comme son testament d’artiste : L’Architecture considérée sous le rapport de l’art, des mœurs et de la législation. Sous le couvert d’un titre qui, à la manière abstraite d’un Royer-Collard et des Doctrinaires, proposerait un discours politique qui ferait de l’architecture le produit de la société et des institutions, cet in-folio rassemble de magnifiques planches gravées avec un texte célèbre pour le symbolisme de son écriture.
Au-delà des images et des allégories, quel en est l’enjeu ? Du caractère génial que le temps des Lumières entend lui conférer, le créateur tire une prétention : celle de prophète et de guide. L’architecte, plus que tout autre, a vocation par son art à transformer la société, mieux à en produire de nouvelles. Il suscite et met en forme les utopies, les conduit dans le champ du possible, c’est un passeur dont l’action conduit ses contemporains vers le bonheur.

Ledoux avait entrepris d’écrire ce livre vers 1794, lorsque la Terreur l’avait jeté en prison pour « aristocratie ». Depuis un an se succèdent les événements politiques les plus dramatiques et, dans sa vie personnelle, les choses ne vont pas mieux : les chantiers sont interrompus, l’une de ses filles décède, l’autre lui intente un long procès pour récupérer la fortune de sa mère que compromettent le projet de publication et les frais qui en découlent. Plus tard viendra le temps des trahisons : Barthélemy Vignon, l’architecte de la Madeleine, ne tiendra pas la promesse qu’il avait faite, comme exécuteur testamentaire, d’éditer la suite de l’ouvrage. Puis celui de l’oubli : malgré l’impression en 1847 d’un ensemble de gravures inédites, un voile épais s’abat sur cette œuvre étrange et difficile.

En 1933, l’Autrichien Emil Kaufmann produisait un retentissant Von Ledoux bis Le Corbusier : pour mettre en scène l’enfant terrible du Mouvement moderne, l’auteur instrumentalisait dans un discours téléologique celui qui prétendait révolutionner le monde par le génie des formes qu’il créait. Depuis ce temps, l’auteur des barrières des Fermiers généraux et des salines d’Arc-et-Senans s’est ancré dans le champ de la culture contemporaine, par l’ambition de son projet politico-poétique, par la brutale élégance de ses architectures.

 

Jean-Michel Leniaud
professeur à l’École nationale des chartes,
directeur d’études à l’École pratique des hautes études

Source: Commemorations Collection 2004

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