Page d'histoire : Raymond Aron Paris, 14 mars 1905 - 17 octobre 1983

Raymond Aron
« trombinoscope » de l’ENS, 1924
bibliothèque des lettres de l’ENS – Fonds photographique
© ENS

Raymond Aron ou comment « surmonter l’Histoire »

Dans l’épilogue de ses Mémoires en 1983, Raymond Aron constatait, assumait et revendiquait un contact constant, une vie durant, avec l’histoire de son temps : « À supposer que quelqu’un se donne la peine de me lire demain, il découvrira les analyses, les aspirations et les doutes qui remplissaient la conscience d’un homme imprégné par l’histoire ». Déjà près de vingt ans plus tôt, en 1965, lors de la remise de son épée de membre de l’Académie des sciences morales et politiques, il datait de son séjour « sur les bords du Rhin » au début des années 1930 « le projet qui est resté (le sien), penser l’Histoire en train de se faire ». D’autant que, observait-il déjà en 1952, « pour surmonter l’Histoire, il convient d’abord de la reconnaître ».

De fait, c’est bien le spectacle de l’Allemagne républicaine en décomposition et, à travers lui, le choc d’une Histoire se remettant en marche qui avaient débouché sur une posture qui donne unité à l’engagement de Raymond Aron, celle de « spectateur engagé ». Cette expression, utilisée dans l’un de ses derniers livres, a été parfois interprétée, bien à tort, comme l’apologie de la tour d’ivoire. Le spectateur, selon Raymond Aron, est au contraire celui qui, délibérément, prête attention au monde qui l’entoure. Cette attention et la réflexion qui en découle ont, selon lui, valeur d’engagement. Car la parole argumentée et publique est action. Dès cette époque, Aron est devenu un homme de l’agora, commentant l’Histoire de son temps.Et, à sa génération, née avec le XXe siècle, cette Histoire donnera bien des tempêtes à affronter. Certes, cette génération avait été épargnée, à quelques années près, par la Première Guerre mondiale, mais elle sera touchée par toutes les autres convulsions de ce siècle de fer : pacifisme des années 1920 broyé au cours de la décennie suivante, installation du communisme au cœur du débat idéologique, embrasement de la Seconde Guerre mondiale, Guerre froide et guerres coloniales. Ces convulsions, Aron les affrontera dans des dispositions intellectuelles héritées de ce retour sur lui-même au début des années 1930 : adieu au pacifisme et souci, désormais, de toujours regarder le monde en face en s’armant, parallèlement à sa formation initiale de philosophe, de la sociologie, de l’économie politique et de la théorie des relations internationales. Il en découla une pensée balancée, sceptique en apparence mais toujours animée par le souci de se confronter avec la complexité du réel.

Jean-François Sirinelli
professeur d’histoire contemporaine à l’Institut d’études politiques de Paris
directeur du Centre d’histoire de Sciences-Po

Source: Commemorations Collection 2005

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