Page d'histoire : Arthur Honegger Le Havre, 10 mars 1892 - Paris, 27 novembre 1955

Arthur Honegger
photographie Raymond Voinquel
1952
© ministère de la culture – France

« Mon désir essentiel n’est ni d’étonner ni de charmer : il est d’émouvoir ». Cette phrase d’Arthur Honegger illustre bien son désir de transmettre un message de beauté et d’humanisme à travers un langage musical certes enraciné dans le présent, mais non soumis aux innombrables controverses et révolutions esthétiques qui bouleverseront la première moitié du XXe siècle.

Honegger naît au Havre où son père, de nationalité suisse, exerce une activité de commerçant. Il y apprend le violon, s’initie aux rudiments de l’écriture musicale puis, après deux années d’études à Zurich, il entre au conservatoire de Paris ; c’est là, dans la classe d’André Gédalge, qu’il acquiert son métier de compositeur et parvient peu à peu à dégager sa personnalité créatrice. Travaillant également avec Charles-Marie Widor et Vincent d’Indy, il a pour camarades Jacques Ibert ainsi que Darius Milhaud avec lequel il rejoindra bientôt le fameux Groupe des Six. Après plusieurs compositions « d’école », Honegger termine en 1917 son 1er Quatuor à cordes dans lequel s’affirment les caractéristiques de son style : solidité de la construction et de l’écriture, audace de l’harmonie, sûreté d’un langage qui assume pleinement les influences qui l’ont façonné : celle des contemporains français (Fauré, Debussy, Schmitt) mais aussi d’auteurs germaniques alors presque ignorés en France (Strauss, Reger) auxquels s’ajoute la fascination du modèle beethovenien.

En 1921, Honegger reçoit la commande d’une importante musique pour un drame de l’écrivain suisse René Morax qui va être représenté au théâtre du Jorat, dans le village vaudois de Mézières, et qu’il doit achever en deux mois. Le jeune musicien relève le gant et compose un ouvrage qui, bientôt transformé en oratorio, acquiert une réelle popularité : Le Roi David. Donné à Paris en 1924, ce dernier remporte un véritable triomphe qui vaut à son auteur une célébrité confirmée, quelques mois plus tard, par le succès de Pacific 231 dans lequel Honegger, à travers l’évocation d’une locomotive, se livre à un étonnant travail rythmique et contrapuntique. Dès lors les commandes affluent et, au milieu d’ouvrages les plus divers, le musicien travaille dès 1923 pour le cinéma, collaborant avec Abel Gance pour La Roue puis Napoléon. Il écrira en tout quarante-deux partitions pour l’écran, travaillant avec des réalisateurs tels qu’Yves Allégret, Raymond Bernard, Marcel L’Herbier ou Marcel Pagnol.Dès 1925, c’est la danseuse et tragédienne Ida Rubinstein qui le sollicite pour plusieurs -spectacles lyriques mêlés de déclamation. À sa demande, il écrira en 1935 Jeanne d’Arc au bûcher, vaste oratorio scénique sur un poème de Paul Claudel (1), l’un de ses plus grands chefs-d’œuvre. Si Honegger collabore avec de grands écrivains de son temps (d’Annunzio, Claudel, Cocteau, Valéry), il affectionne la musique « pure ». Auteur de trois Quatuors, cinq Symphonies et de nombreuses pages instrumentales et vocales, il accordera toujours le même soin et la même conscience à l’élaboration de ses œuvres, de la simple chanson à la plus savante construction symphonique.

Pour Arthur Honegger, être créateur c’est aussi être témoin de son temps et apporter, à travers la musique, une réflexion sur la condition humaine ainsi qu’une ouverture vers l’espérance. C’est sans doute la raison pour laquelle ses œuvres rencontreront un écho si intense pendant l’Occupation qu’il choisit de vivre à Paris, alors que sa nationalité suisse lui aurait permis de trouver asile au pays : qui a entendu le choral clamé par la trompette à la fin de sa 2e Symphonie (1941) terriblement tourmentée, ne peut rester insensible à cette bouleversante irruption de la lumière dans un monde de ténèbres. En 1947, Honegger est victime d’un très grave accident cardiaque ; ses dernières années sont marquées par un douloureux pessimisme que lui inspirent la ruine de l’Europe, la course aux armements liée au début de la guerre froide ainsi qu’un matérialisme galopant, dévastateur des plus hautes valeurs humaines et spirituelles. Il traduit sa lassitude dans sa Symphonie n° 5 (1951) puis, miné par la maladie, compose en 1953 Une Cantate de Noël, son ultime quête d’espérance. C’est la dernière inspiration du musicien qui, à bout de forces, s’éteint quelques mois après avoir été élevé au grade de grand officier de la Légion d’honneur. Notons que cette décoration avait été précédée, en 1952, par son élection comme membre de l’Institut de France à titre étranger.

Si la musique d’Arthur Honegger a connu de son vivant une célébrité considérable, la postérité n’a retenu de son œuvre immense qu’un nombre assez restreint de compositions. Puisse la commémoration du cinquantième anniversaire de sa mort remettre en lumière des partitions aussi essentielles qu’Antigone, Horace Victorieux, Sémiramis, Cris du Monde ou les Quatuors à cordes, qui montrent la force et l’universalité de cet « honnête homme », aussi grand artiste qu’infaillible artisan.

Jacques Tchamkerten
responsable de la bibliothèque du conservatoire de musique de Genève

1. Paul Claudel étant mort, lui aussi, en 1955 voir l’article que lui consacre dans la brochure M. Michel Autrand

Source: Commemorations Collection 2005

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