Page d'histoire : Loi de séparation des Églises et de l'État 9 décembre 1905

Manifestation d'opposants à la loi devant l'église Notre-Dame-des-Champs

La loi, adoptée et promulguée en décembre 1905, qui prononçait la séparation de l’État d’avec les Églises – le pluriel, souvent oublié, est d’importance – est considérée comme un des grands textes de la IIIe République qui ont modelé la société moderne, tant par sa portée symbolique que par ses propres dispositions. Aucun autre pays n’avait alors poussé aussi loin les conséquences de la laïcité.

Cette loi a eu un destin singulier : on lui attribue aujourd’hui, non sans raison, le mérite d’avoir contribué à la pacification des esprits. Or, votée dans un climat conflictuel, elle a d’abord été une loi de rupture qui mettait fin à un régime centenaire, instauré pour l’Église catholique par le Concordat négocié par Bonaparte avec le Saint-Siège en 1801 et étendu par les Articles organiques aux deux confessions réformées, luthérienne et calviniste, puis au judaïsme. Fondé sur la neutralité de l’État et la pluralité des cultes, ce régime a fonctionné tant bien que mal un siècle environ. Abrogeant unilatéralement ce régime instauré par un traité, la loi de 1905 parachève l’évolution amorcée depuis un quart de siècle par la politique de laïcisation du parti républicain qui visait à soustraire la société à la tutelle de l’Église catholique : elle en est le point d’orgue. La République ne reconnaît plus aucun culte : c’est la fin du service public de la religion. Il n’y aura plus désormais de relations juridiques entre la puissance publique et les cultes, quels qu’ils soient. La loi n’exclut pas pour autant la -présence des religions dans la société : comment le pourrait-elle, sauf à s’engager dans une politique de persécution ? Or l’inspiration de la loi de Séparation est de tolérance. Elle assure la liberté de conscience : c’est même sa raison d’être principale. Elle garantit aussi le libre exercice des cultes et prévoit à cette fin des dispositions précises qui font obligation à l’État d’entretenir des aumôneries dans toutes les collectivités fermées. La séparation n’est pas l’ignorance des cultes ni non plus l’empêchement pour l’État d’avoir des relations avec leurs autorités respectives : la loi prévoit même expressément que les nouvelles institutions appelées à prendre le relais de celles qui géraient les biens ecclésiastiques devront se constituer en conformité avec les principes d’organisation propres à chaque confession.

Cette loi est en effet aussi, par nécessité, une loi de transition, réglant le transfert des biens ecclésiastiques à des associations cultuelles. Cette partie de la loi qui occupe de nombreux articles n’a pas connu pour le catholicisme le moindre début d’application, Rome ayant défendu aux catholiques de former lesdites associations. Du fait de ce refus, l’État se saisit des biens, entraînant pour la seconde fois de notre histoire une confiscation du patrimoine de l’Église catholique. Mais, faute d’un accord avec celle-ci, les pouvoirs publics ont dû mettre à la disposition du clergé et des fidèles les édifices du culte devenus propriété des communes ou de l’État, et prendre en charge les frais de leur entretien. La Séparation a marqué la fin des ingérences cléricales en politique mais aussi de l’État dans la vie intérieure de l’Église, instaurant l’indépendance réciproque des Églises et de l’État. La loi de 1905 a en outre consommé le divorce entre l’État et la religion historique de la nation.

L’expérience ayant bientôt démontré l’irréalisme de l’idée que l’État puisse ignorer complètement l’existence des religions, le gouvernement français, soucieux de sortir de l’embarras juridique créé par l’opposition du Saint-Siège à la loi, négocia en 1923 avec Rome un accord qui règle depuis les relations entre l’État et la principale religion sur la majorité du territoire, le Concordat de 1801 étant toujours en vigueur pour les trois départements d’Alsace et de Moselle qui, du fait de leur annexion, étaient séparés de la communauté nationale lors du vote de la loi de Séparation.

Depuis, diverses formules ont été conçues et mises en vigueur pour régler des questions laissées en suspens (tel le rapport entre l’école catholique et l’enseignement public) ou qui ont surgi depuis (régime de protection sociale des ministres des cultes, émissions religieuses dans l’audiovisuel public). L’ensemble de ces dispositions dessine un régime qui, sans trahir pour l’essentiel l’inspiration de la loi de 1905, a permis de prendre en compte le fait religieux dans sa diversité et de reconnaître son droit à s’exprimer dans l’espace social. La commission, instituée en 2003, à l’approche du centenaire de la loi de Séparation, par le Président de la République avec mission de conduire une réflexion sur l’application du principe de laïcité, a pris acte de cette interprétation -nouvelle du texte fondateur. La présence de l’Islam sur le sol français et l’appartenance de nombreux citoyens français à la religion musulmane ont relancé le débat, partiellement remis en question le statu quo et ouvert un nouveau chapitre de l’histoire de la laïcité tant comme idée que comme pratique.

 

René Rémond,
de l’Académie française
président de la Fondation nationale des sciences politiques

Source: Commemorations Collection 2005

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