Page d'histoire : L'achèvement du Pont-Neuf Paris, 8 juillet 1606

Il se porte comme le Pont-Neuf, dit le dicton populaire. Depuis quatre siècles, le plus célèbre des ponts de Paris tient accrochées ensemble l’île-mère de la capitale et ses deux rives si différentes à l’origine, à gauche l’université, à droite la ville. Le nom même qui lui est resté, contre toute attente, témoigne avec une éloquente simplicité du caractère que les contemporains ébahis lui avaient d’emblée reconnu : la nouveauté, la modernité. Ils n’avaient auparavant connu que des traversées du fleuve par des ouvrages de bois ou de pierre, fragilisés par les crues ou par les incendies, et qui dressaient dans le paysage les hautes murailles de leurs maisons bâties sur leurs piles et leurs arches. À l’intérieur, c’était un front ininterrompu de chaque côté de la voie publique, d’où l’usager ne pouvait apercevoir la Seine. Pour la première fois, par la volonté conjuguée de deux rois, un vaste pont de pierre, large et solidement construit, n’était pas seulement conçu comme un moyen de passage, mais comme un espace libre favorable à la promenade, une terrasse lancée sur la rivière, un geste architectural magistralement dressé dans le plus beau site de la capitale, dans la perspective du Louvre.

Depuis longtemps, les Parisiens de l’Ouest réclamaient un nouveau pont afin d’éviter le détour par le pont au Change et le pont Saint-Michel lorsqu’ils voulaient se rendre de la rive droite à la rive gauche. Il en fut question dès 1378, sous Charles V, mais la liaison nécessaire ne fut assurée, épisodiquement, que par un bac qui traversait depuis le Louvre jusqu’à l’hôtel de Nesle. Soucieux de la beauté de sa capitale, Henri III décida d’aller plus loin dans la réalisation du vœu de ses sujets. Il avait poursuivi les travaux engagés par François Ier et Henri II au Louvre, et la communication du palais avec l’île de la Cité et avec le nouveau quartier aristocratique qui se construisait au bourg Saint-Germain lui parut justifier l’onéreux projet qu’il prit entièrement à sa charge.

Après l’adoption du parti architectural par une commission nommée par lui, le roi posa la première pierre le 31 mai 1578 en présence des deux reines, sa mère et son épouse. Fait de deux ponts alignés sur un même axe au-dessus du grand bras et du petit bras, l’ensemble devait comporter un décor monumental à l’antique, arcs de triomphe et obélisques. Au-dessus des piles, le parapet était agrémenté d’aimables balcons en saillie semi-circulaire, sur un modèle déjà expérimenté au château de Chenonceau. Menés par l’entrepreneur Pierre Des Illes, avec la collaboration de Baptiste Androuet du Cerceau, l’architecte favori du roi, les travaux commencèrent par la rive gauche et durèrent fort longtemps. Dix ans plus tard, toutes les piles étaient hors de l’eau, mais le tablier manquait encore.

Une fois maître de Paris et du royaume, Henri IV décida de poursuivre le projet de son prédécesseur dont il reconnaissait la nécessité et la grandeur monumentale, et il fit abandonner la construction de maisons que la Ville avait fait programmer sur le pont, par routine. Repris dès 1598 par les maçons Guillaume Marchant et François Petit, les travaux s’achevèrent par la visite des experts le 8 juillet 1606. Dès l’année suivante, le roi amplifiait son grand dessein d’urbanisme en décidant l’aménagement de la « place Dauphine » sur l’ancien jardin de forme triangulaire qui s’étendait entre le palais de la Cité et le nouveau pont. Elle devait être bordée de maisons de brique et pierre à l’ordonnance uniforme – comme celles de la place Royale (1) – dressées entre la place et les deux quais.

Fidèle au goût des Médicis pour les monuments héroïques, la reine Marie s’était entremise avec la cour de Florence pour faire exécuter la statue équestre de son époux et la dresser sur le terre-plein bâti au cœur du dispositif, surplombant les îlots bas de la pointe qu’occupe aujourd’hui le jardin du « Vert Galant ». La statue ne fut érigée qu’après la mort du roi, en 1614. Aux pieds du fameux « Cheval de bronze », les Parisiens prirent l’habitude de s’attrouper et de venir aux nouvelles, badauds toujours prêts à applaudir camelots et saltimbanques. Bien des grandes heures de l’histoire de France ont trouvé leur écho sur le Pont-Neuf, jusqu’à la Révolution française qui mit bas la statue du roi, rétablie sur l’ordre de Louis XVIII en 1818.

Jean-Pierre Babelon
membre de l'Institut

(1) Aujourd'hui la place des Vosges, voir brochure des Célébrations nationales 2005

Source: Commemorations Collection 2006

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