Page d'histoire : Gustave Charpentier Dieuze (Moselle), 25 juin 1860 - Paris, 18 février 1956

Gustave Charpentier est le compositeur de Louise. Cet opéra créé, à l’Opéra-Comique à Paris le 2 février 1900 s’impose très vite et durablement dans le monde entier.

Sa famille quitte la Lorraine pour Tourcoing après 1870. Son père, bon musicien amateur, donne à Gustave et son frère Victor (qui deviendra chef d’orchestre) leurs premières leçons. Gustave, qui doit commencer à travailler dans une filature à l’âge de quinze ans, continue l’étude du violon, grâce à l’aide de son patron. Il devient boursier de la ville de Tourcoing, ce qui lui permet d’entrer au Conservatoire à Paris en 1879 et, installé à Montmartre, pour raisons d’économie, il se trouve tout de suite à l’aise dans cet univers populaire et bohème.

Admis dans la classe de composition de Massenet en 1884 (il succèdera à son maître à l’Institut en 1912), il remporte le Prix de Rome en 1887 avec sa cantate Didon. C’est à la villa Médicis qu’il conçoit la suite orchestrale Impressions d’Italie, la symphonie-drame La Vie du Poète et qu’il écrit le premier acte de Louise. La Vie du Poète, et les Impressions d’Italie, données en concert en 1892, obtiennent déjà un succès certain. Mais Louise, terminée dans les années suivantes, est refusée par Carvalho, directeur de l’Opéra-Comique, qui veut des remaniements que Charpentier juge inacceptables.

Ce n’est qu’en janvier 1898 qu’Albert Carré, le nouveau directeur, décide de créer l’œuvre. Dès la première, c’est un immense succès. Ce « roman musical », comme l’intitule le compositeur, fait sensation par sa nouveauté. Les éléments inhabituels surprennent : l’époque contemporaine, le milieu populaire des ateliers de couture, le pittoresque marginal de Montmartre, déjà très fréquenté par les artistes et les intellectuels peu conventionnels, la revendication sociale avec l’évocation de la condition difficile des ouvriers, enfin la thèse de l’amour libre. Bien plus intéressant que Julien, l’amant poète, c’est d’ailleurs le personnage de Louise qui est le plus nouveau, le plus moderne, le plus courageux : elle s’affranchit de l’autorité familiale, revendique sa liberté de femme, à une époque où les suffragettes anglaises font elles-mêmes scandale. Louise ne subit pas, elle choisit son destin. Beaucoup de contemporains parlèrent d’une œuvre naturaliste, directement influencée par Zola, que Charpentier admirait. Il faut plutôt saisir en Louise l’expression de l’idéalisme actif du compositeur : le milieu social ne détermine pas l’homme pour toujours, il peut être transcendé par la création artistique et la volonté du créateur. La fête du couronnement de la Muse, au milieu de l’opéra, s’en fait l’écho. Les personnages secondaires, comme le chiffonnier et sa lanterne, errant dans la nuit, donnent même un caractère fantastique à l’œuvre. La réalité ne reste pas naturelle, elle devient objet d’art.

Très vite après les premières représentations, Gustave Charpentier convainc Albert Carré d’offrir des places gratuites pour Louise à de jeunes ouvrières parisiennes, en faisant appel à un comité de généreux donateurs. Ce geste aboutira à la création de l’« Œuvre de Mimi Pinson » en 1902, destinée par le compositeur à promouvoir l’enseignement musical gratuit pour les jeunes filles – c’est le premier exemple d’enseignement artistique gratuit au vingtième siècle. Il fonde le premier syndicat de musiciens, et sera constamment préoccupé par le « droit imprescriptible à l’art et à la beauté » des classes populaires, certainement seul compositeur de cette époque à mettre ses idées en action.

Le succès de Louise l’amène à voyager partout en Europe pour assister aux représentations et lui apporte l’aisance. Il avait conçu, dès la villa Médicis, un ensemble d’opéras avec les mêmes personnages, mais seul Julien sera édité et représenté en 1913 à Paris, et à New York en février 1914 avec Caruso et Géraldine Farrar. Ses mélodies, écrites et publiées entre 1890 et 1896 sur des poèmes de Verlaine, Baudelaire, Camille Mauclair, ont été enregistrées dans les années 1930 par Jean Planel. Passionné lui-même par les possibilités de l’enregistrement phonographique et par le cinéma, il suit de très près la réalisation du film Louise d’Abel Gance et s’oppose à sa diffusion, estimant que le film trahit son œuvre. Mais en 1950, à l’âge de quatre-vingt-dix ans, il dirige une dernière fois Louise à l’Opéra-Comique, avec la cantatrice Geori Boué dans le rôle-titre, pour célébrer les cinquante années d’existence glorieuse de Louise.

Anne Randier
conservateur au département de la musique à la Bibliothèque nationale de France
responsable du fonds Gustave Charpentier
membre du Comité Gustave Charpentier

Source: Commemorations Collection 2006

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