Page d'histoire : Michel Chevalier Limoges, 13 janvier 1806 - Lodève (château de Montplaisir), 28 novembre 1879

Photographie, atelier de Léopold Ernest Mayer et Pierre Louis Pierson
non datée
épreuve sur papier albuminé
Paris, musée d'Orsay
© RMN / Jean-Gilles Berizzi

Ingénieur, journaliste, économiste, conseiller de Napoléon III, professeur au Collège de France, membre de l’Institut, député, sénateur, Michel Chevalier fut un infatigable homme d’action et de réflexion.

Reçu major à Polytechnique en 1823, élève à l’École des mines, il est nommé ingénieur en 1830 ; mais ces fonctions d’ingénieur, écrit-il, « me répugnaient ». Abandonnant cette carrière, il rejoint le mouvement saint-simonien à l’été 1830. Peu après, il répond à l’appel du Père Enfantin – « À nous Michel, vieux voltairien, arrive !… Tu es de la pâte dont sont pétris les prophètes » – et devient chef de service du journal Le Globe que les saint-simoniens viennent de reprendre. Quand, un an plus tard, surgit le « Schisme » entre les deux Pères, Bazard et Enfantin, Chevalier prend parti pour ce -dernier et le suit dans sa retraite à Ménilmontant.

Poursuivi pour ses publications dans Le Globe, il est condamné et, en décembre 1832, entre à la prison de Sainte-Pélagie. Trois mois plus tard, il rompt avec Enfantin, concrétisant ainsi son éloignement de la doctrine. Sa contribution au saint-simonisme est donc de courte durée, mais cette expérience marque toute sa vie. Il est devenu « l’économiste saint-simonien », selon le mot de Jean Walch.

En effet, ses quatre articles sur Le Système de la Méditerranée, publiés en février 1832 dans Le Globe, constituent le véritable programme industriel de -l’École. « La Méditerranée, écrit-il, a été une arène, un champ clos où, durant trente siècles, l’Orient et l’Occident se sont livré des batailles. Désormais la Méditerranée doit être comme un vaste forum sur tous les points duquel communieront les peuples-jusqu’ici divisés. » Pour ce faire, il faut multiplier les voies de communication et favoriser le commerce et les échanges.

En 1833, Chevalier passe deux ans aux États-Unis, pour étudier les réseaux de communication. Il se transforme en véritable reporter, et ramène de cette mission plusieurs ouvrages dont les Lettres sur l’Amérique du Nord et une Description des voies de communication aux États-Unis et des travaux d’art qui en dépendent. Dès son retour, il milite pour le développement des chemins de fer et le percement de l’isthme de Panama : il devient conseiller technique de la Compagnie de chemins de fer des frères Péreire. En 1838, il publie un nouvel ouvrage-manifeste, Des Intérêts matériels en France. Travaux Publics ; routes, canaux, chemins de fer.

Il court de succès en succès : il obtient un poste au Conseil d’État et, fin 1840, il est nommé titulaire de la chaire d’économie politique au Collège de France. Il publie un Cours d’économie politique en trois volumes dans lequel il professe un saint-simonisme libéral, réaliste et industrialiste, et développe la thèse de « l’industrialisme mixte », mélange d’interventionnisme et de libéralisme. À partir de 1845-46, il privilégie les politiques de libre-échange et se lance dans la carrière politique ; il est élu à la Chambre en 1845.

La révolution de 1848 permet à plusieurs saint-simoniens de gauche – Raynaud, Charton et Carnot – d’accéder au gouvernement, mais ils voient en lui un adversaire libre-échangiste et sa chaire au Collège de France est supprimée durant six mois. Après le coup d’État du 2 décembre qu’il a soutenu, Chevalier devient le conseiller économique très écouté de Napoléon III dont il guide la politique industrielle. Qualifié de « vieux Berthier du nouveau Napoléon » par Enfantin avec lequel il renoue, il est élu membre de l’Institut, puis nommé conseiller d’État et, en 1860, sénateur. Pacifiste convaincu, il est l’inspirateur avec Richard Cobden, du traité de libre-échange entre la France et la Grande-Bretagne ; il favorise les grandes expositions universelles et, en 1870, il est le seul sénateur à voter contre la guerre. Après la chute du second Empire, il poursuit son cours au Collège de France, s’intéresse encore à l’isthme de Panama et crée en 1875 la « Société du Chemin de fer sous-marin entre la France et l’Angleterre » pour étudier le percement du tunnel sous la Manche.

Saint-simonien libéral et conservateur, Michel Chevalier a gardé toute sa vie foi dans le progrès industriel et a poursuivi son rêve de jeunesse visant à l’encerclement pacifique de la planète par les réseaux de communication.

Pierre Musso
professeur à l’université de Rennes II

Source: Commemorations Collection 2006

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