Page d'histoire : Missak (Michel) Manouchian Adiyaman (Turquie), 1er septembre 1906 - Mont Valérien (Cne de Suresnes), 21 février 1944
"Je meurs en soldat régulier de l’armée française de libération » : tels sont quelques mots de la dernière lettre que Missak Manouchian adresse à sa femme, Mélinée, avant d’être exécuté, au Mont Valérien, le 21 février 1944. Une lettre qui inspirera, comme « l’Affiche rouge », le poème d’Aragon, immortalisé par Léo Ferré.
Né en 1906 à Adiyaman, dans l’Empire ottoman, il a été profondément marqué par son identité arménienne, d’autant plus qu’à l’âge de neuf ans il voit ses parents et une bonne partie de sa famille massacrés par les Turcs. Il est finalement recueilli avec son frère dans un orphelinat, au Liban, pays sous mandat français, ce qui le conduit tout naturellement en métropole en 1924. Cet ancrage identitaire se retrouve dans son engagement politique et culturel : il fonde deux revues littéraires et rejoint le PCF en 1934. Cette convergence se fait sans difficulté, car le PCF offre alors, avec la MOI (main-d’œuvre immigrée), un vecteur d’intégration dans la société française tout en respectant les identités d’origine.
Il prend, après la débâcle, la direction de la section arménienne de la MOI. Mais il est surtout connu pour sa résistance militaire : en février 1943, il rejoint les FTP-MOI où, en août, il succède à Boris Holban comme responsable militaire pour la région parisienne, quand ses maigres troupes (65 tout compris) sont les seules à mener la lutte armée à Paris. Il est vrai que la police parisienne a fait des ravages. C’est elle qui, après des mois de filature, démantèle le groupe.
Les Allemands souhaitent profiter de cette vaste rafle pour lancer une campagne de propagande antisémite et xénophobe. Tel est l’objet de « l’Affiche rouge » placardée au moment où 23 membres du groupe sont jugés. Elle manquera son but puisque l’affiche suscitera un grand mouvement de sympathie dans la population et restera comme le symbole du combat des étrangers contre l’Occupation.
Denis Peschanski
directeur de recherche au CNRS
centre d’histoire sociale du XXe siècle
université de Paris I – Panthéon-Sorbonne
Pour aller plus loin
- Les Archives nationales publient un dossier, constitué de la biographie de Missak Manouchian et d'une sélection de documents illustrant son parcours ;
- Les Archives de la préfecture de Police proposent un dossier thématique retraçant son parcours de résistant à travers 10 notices historiques autour de documents clés et d’un guide des sources ;
- L’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) conserve le dossier de réfugié arménien de Missak Manouchian (ou Manoughian), établi par l’Office des réfugiés arméniens de Paris. Les documents sont peu nombreux et les premiers datent de 1935. D’autres documents concernant Missak se trouvent dans le dossier de Mélinée Manouchian, car les certificats ont été établis de manière posthume, sur demande de sa veuve. Les certificats montrent par exemple que le couple s’est marié à Beyrouth, en 1936. L’Ofpra conserve également le dossier de Mélinée Manouchian (née Assadourian), réfugiée arménienne de 1933 à 1945, date de son départ en Arménie soviétique. Après plusieurs années de difficultés à retourner en France comme elle le souhaitait, du fait du refus des autorités soviétiques de lui accorder le visa nécessaire, elle est revenue en France en 1964. Elle y a résidé d’abord comme citoyenne soviétique avant de demander la protection de l’Ofpra en 1974, qui lui accorde le statut de réfugiée. Mélinée Manouchian n’a jamais demandé la naturalisation française, mais a continué à vivre en France en tant que réfugiée d’origine arménienne jusqu’à son décès en 1989 ;
- Le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères conserve des documents relatifs au génocide arménien perpétré par l'Empire ottoman entre 1915 et 1916, dont Missak Manouchian, son épouse et leur famille ont été victimes :
- 11ACN : Archives de la Commission interministérielle permanente de l’immigration (1852-1946) ;
- 455QO : Conférence de la paix et Conférence des Ambassadeurs - Série E « Règlements territoriaux » (1919-1925) ;
- 36PO : Haut-commissariat de la République française à Constantinople puis ambassade de France en Turquie (en résidence à Constantinople puis à Ankara) (1919-1952) ;
- 242QO : Société des Nations (SDN) (1917-1940).
- Missak et son frère Garabed travaillent à leur arrivée en France à la Seyne-sur-Mer, dans les ateliers de menuiserie des Forges et Chantiers de la Méditerranée, dont le fonds, en cours de classement, est conservé par les Archives nationales du travail (ANMT) : ils apparaissent dans un des registres du personnel de l'entreprise conservé et mis en ligne par les Archives de la Seyne-sur-Mer. Les deux frères, embauchés en septembre 1924, n'y restent que quelques mois, comme l'indique le document ;
- La MOI est créée par le PCF dans les années 1920 pour encadrer les immigrés économiques et les réfugiés politiques de sensibilité communiste. En raison des difficultés d'intégration dues aux multiples langues parlées par les nouveaux arrivants - espagnol, italien, grec, polonais, yiddish, etc. -, des groupes sont constitués, un par nationalité, comme celui des Arméniens dont Missak Manouchian prend la tête, chaque groupe étant représenté à la direction de la MOI, elle-même ayant un délégué au Comité central du PCF :
- Les archives de la direction du PCF sont conservées par les Archives de la Seine-Saint-Denis ;
- FranceArchives consacre, en partenariat avec les Archives de la Seine-Saint-Denis, un guide des sources locales du PCF (1921-1920).
- En 1942, les membres de la MOI s'engagent dans la Résistance, sous l'égide du PCF, au sein des Francs-tireurs et partisans-Main d'oeuvre immigrée (FTP-MOI) : ils se spécialisent dans la guérilla urbaine sur l'ensemble du territoire, à Paris pour le groupe Manouchian, mais également, par exemple, les unités Carmagnole à Lyon et Liberté à Grenoble, la 35e Brigade à Toulouse ou en Dordogne. Après le débarquement du 6 juin 1944, les FTP-MOI étendent leurs actions aux zones rurales et fondent des maquis, recensés par le Service historique de la défense (SHD) ;
- En novembre 1943, Missak Manouchian et son groupe sont arrêtés après une filature débutée plusieurs mois auparavant par les agents des Brigades spéciales (BS) de la préfecture de police de Paris, chargées de la traque des communistes et des "terroristes". Les archives des Brigades spéciales sont conservées par la préfecture de police de Paris :
- 283 W 1-264 : Activités des services de renseignements généraux, et particulièrement des brigades spéciales, pendant l'Occupation (1930-1944) ;
- GB 49-92 : Dossiers instruits par la Brigade spéciale 1 (répression des menées et de la propagande communistes) (1940-1944) ;
- GB 93-139 : Dossiers instruits par la Brigade spéciale 2 (répression "anti-terroriste") (1940-1944).
- Aux Archives de la Seine-Saint-Denis sont conservées des photographies de quelques uns des membres du groupe Manouchian dans le fonds du service photographique du journal L'Humanité et des membres polonais dans leur collection de cartes postales ;
- L'Établissement de Communication et de Production Audiovisuelle de la Défense (ECPAD) conserve trois clichés de l'exécution de membres du groupe Manouchian le 21 février 1944, réalisés anonymement par un sous-officier allemand. L'ECPAD a en outre acquis un fonds audiovisuel dédié à la mémoire de Missak et Mélinée Manouchian, constitué de six heures d’images animées et trois heures d’enregistrements audio ;
- Mémoire des hommes, le portail culturel du ministère des Armées, met à disposition des bases de données constituées à partir de fonds d'archives conservés par le SHD :
- Titres, homologations et services pour faits de résistance, qui recense des dossiers individuels établis par différentes administrations chargées pendant ou à la fin de la Seconde Guerre mondiale d’identifier, d’homologuer ou de reconnaître les services rendus pour faits de résistance : la fiche de Missak Manouchian est disponible en ligne ;
- Médaillés de la Résistance française : la médaille de la Résistance française est instituée par ordonnance du 9 février 1943 du général de Gaulle pour "reconnaître les actes remarquables de foi et de courage qui auront contribué à la résistance du peuple français". Elle est attribuée à titre posthume à Missak Manouchian en 1947 et en 1970 ;
- Les fusillés du Mont Valérien, qui recense les 1009 victimes dont les noms sont inscrits sur le monument commémoratif édifié au Mont-Valérien à Suresnes (Hauts-de-Seine) : Missak Manouchian en fait partie.
- A partir des années 1950, la mémoire de Missak Manouchian et de son groupe est honorée par des commémorations et l'inauguration de rues ;
- L'Institut national de l'audiovisuel (INA) propose un dossier, "L'histoire de Missak Manouchian, l'Arménien symbole des Résistants étrangers en France" ;
- La mission Libération, groupement d'intérêt public "Mission du 80e anniversaire des débarquements, de la Libération de la France et de la Victoire", consacre un dossier à Missak Manouchian ;
- Le Palais de la Porte Dorée, un dossier à L'affiche rouge et L'Histoire par l'image, sur les femmes membres des FTP-MOI ;
- Après la Libération, Mélinée Manouchian fait publier à titre posthume un recueil de la poésie de son mari, dont la Bibliothèque universitaire des langues et civilisations (BULAC) conserve un exemplaire en arménien qu'elle a numérisé et mis à disposition du public.
Programme des manifestations
- Le Panthéon organise du 21 février 2024 au 8 septembre 2024 une exposition, "Vivre à en mourir. Missak Manouchian et ses camarades de Résistance au Panthéon" ;
- Le Musée de la Libération de Paris-musée du général Leclerc-musée Jean Moulin et le mémorial du Mont-Valérien, un cycle de rencontres et de projections.
Source: Commemorations Collection 2006