Page d'histoire : François Antoine Boissy d'Anglas Saint-Jean-Chambre (Ardèche), 8 décembre 1756 - Paris, 20 octobre 1826

Boissy d’Anglas saluant la tête du député Féraud, 20 mai 1795
par Alexandre-Évariste Fragonard
Paris, musée du Louvre
© RMN / Gérard Blot / Jean Schormans

Boissy d’Anglas ne fait pas partie des plus grands acteurs de la Révolution, mais il est au premier rang des seconds rôles représentatifs et significatifs et il a survécu en maintenant la fidélité à ses principes jusqu’en plein cœur de la Restauration. Socialement, un grand bourgeois, grande propriété terrienne en Vivarais, profession libérale (avocat, fils de médecin), des relations à Paris avant même 1789. Idéologiquement, une famille protestante rescapée de la persécution et par conséquent attachée à la Liberté et aux Lumières. Donc membre actif de toutes les assemblées révolutionnaires, libéral sans être extrémiste, un peu thermidorien, fructidorisé, rallié à l’Empire, et à nouveau opposant libéral aux rois restaurés.

Ce sont le conditionnement et la trajectoire d’un bourgeois chimiquement pur, ou – on l’a dit aussi – de « notable libéral » (1). Mais si son nom survit, ce n’est pas pour cette représentativité mais pour un épisode particulier, la journée d’émeute du 1er prairial an III (20 mai 1795). Présidant ce jour à la Convention, il sauva la séance en s’accrochant courageusement au fauteuil dont les émeutiers venus du faubourg Saint-Antoine, à la fois affamés et en armes, voulaient s’emparer. Il salua la tête de Féraud, conventionnel assassiné et décapité par l’émeute, et qu’on brandissait devant lui, sans craindre le même sort et sans céder la place.

Cela suffit pour que la monarchie libérale revenue quatre ans après sa mort en 1830, avec Louis-Philippe, fasse officiellement du Boissy d’Anglas du 1er prairial l’équivalent du Mirabeau de Juin 1789 repoussant de la voix l’émissaire de Louis XVI (« Nous ne sortirons que par la force des baïonnettes »).

Équivalent par symétrie. La liberté politique s’exerçant dans le respect des assemblées élues, l’Assemblée doit se défendre contre toute violation, qu’elle vienne du pouvoir exécutif (Mirabeau contre Louis XVI) ou qu’elle vienne de la rue (Boissy d’Anglas contre le faubourg). Quoi que l’on pense de cette éthique en termes de sensibilité actuelle, l’histoire ne peut nier qu’elle ait constitué le principal fil conducteur d’un siècle et demi de notre histoire politique. Un « centrisme » avant la lettre.

 

Maurice Agulhon
professeur honoraire au Collège de France
membre du Haut comité des célébrations nationales

 

1. Christine Le Bozec, Boissy d’Anglas, un grand notable libéral, Privas, FOL de l’Ardèche, 1995.

Source: Commemorations Collection 2006

Liens