Page d'histoire : Tragédie chez les mineurs Courrières (Pas-de-Calais), 10 mars 1906

Il y a un siècle, le 10 mars 1906, se produisit aux petites heures du matin, dans la commune de Courrières, l’une des catastrophes – 1 100 morts – les plus meurtrières de toute l’histoire mondiale des mines. Dans l’horrifiant palmarès des accidents provoqués par une exploitation sans merci des hommes et du charbon, seul l’accident du 26 avril 1942 à Hinkeiko (Chine), avec ses 1549 disparus, dépasse ce monstrueux bilan. Les tragiques épisodes du coup de grisou de 1906, dans le Pas-de-Calais, sont inscrits dans bien des mémoires – familiales, régionales, nationales et internationales – tant ils ont été fertiles en rebondissements inattendus et en conséquences dramatiques.

À cette époque, dans ce paisible village minier, la plupart des familles vivent du travail à la mine. En cette glaciale matinée du début de mars, quelque 1650 hommes de l’équipe de jour sont descendus dans les puits lorsqu’une effroyable explosion fait vaciller toute la région. La déflagration est d’une violence telle, que son souffle balaye tout sur son passage. Au fond, les bois de soutènement et les galeries sont dévastés ; sur le carreau, les chevalements – ainsi qu’un pauvre cheval – sont projetés à plus de 10 mètres de haut. Au nombre des victimes, un ouvrier de surface qui travaillait près d’un puits d’où s’échappe une grande quantité de gaz. Le drame, pourtant, se déroule dans les profondeurs. Très vite, l’ampleur du désastre est connue de tous. Des centaines de mineurs sont bloqués sous terre et leurs chances de remonter vivants extrêmement réduites, les voies d’accès étant désormais impraticables. Les équipes de secours s’organisent néanmoins et tentent d’atteindre au risque de leur vie, dans le gaz et l’incendie qui fait rage au fond – 17 d’entre eux y trouveront la mort – leurs camarades ensevelis.

Après la remontée des premiers corps, avec l’odeur de putréfaction qui se répand dans la campagne environnante et la rumeur de plus en plus persistante, qui se transmet de bouche à oreille, selon laquelle l’accident serait en grande partie dû à la négligence de la compagnie et à sa volonté de poursuivre l’exploitation de la houille en dépit du danger provoqué par les émanations souterraines de grisou signalées, avec force, plusieurs semaines auparavant par le délégué mineur Simon dit Ricq, la colère monte dans la communauté des mineurs. Les premières victimes sont enterrées le 14, sous la neige qui recouvre le bassin. À Billy-Montigny, le cortège funèbre mesure plus d’un kilomètre de long. L’atmosphère, jusque-là recueillie et angoissée, tourne à la révolte lorsque l’inspecteur général des mines Delafond déclare que les travaux de sauvetage seront définitivement interrompus puisque, pour la compagnie qui veut reprendre la production au plus vite, il ne reste plus aucun espoir de retrouver des rescapés. Quelques jours plus tard, Clemenceau, tout nouveau ministre de l’Intérieur du gouvernement Sarrien, fait saisir les registres sur lesquels les mineurs, délégués à la sécurité, avaient inscrit leurs remarques, afin de mettre un terme au débat sur les négligences patronales. Des arrêts de travail sont alors signalés ici et là.

La situation s’aggrave encore lorsque Simon, qui participe avec courage aux recherches, fait part aux journalistes présents sur les lieux de sa conviction que des survivants errent toujours dans les ténèbres. N’a-t-il pas découvert, au cours de l’une de ses tournées de reconnaissance, des cadavres de mineurs décédés depuis peu ? Le 30 mars, treize « revenants » dans un état de grande faiblesse sont découverts s’acheminant dans l’obscurité, guidés par l’air frais, vers la sortie. Mais à la mi-avril, un véritable coup de théâtre se produit dans le bassin. Alors que sa famille portait déjà le deuil, de la fosse numéro III, un quatorzième rescapé et trois chevaux vivants remontent à la surface, après plus d’un mois d’errance souterraine. La grève déclarée spontanément, en dehors des organisations syndicales, gagne alors l’ensemble du bassin – 50 000 travailleurs indignés et meurtris ont cessé le travail.

La production de houille est totalement paralysée. D’abord calme le mouvement, commencé dès le 13 mars, contamine les autres bassins miniers du pays et se transforme au fil des événements en un terrible déchaînement de fureur. Dans le Pas-de-Calais, les mineurs circulant en bandes saccagent tout sur leur passage et livrent de véritables batailles rangées aux forces de l’ordre qui ont envahi la région. Les arrestations sont nombreuses, surtout lorsque les grévistes s’attaquent aux propriétés des dirigeants de la compagnie ou aux magasins des Houillères.

Le conflit s’éternise, la misère s’installe. Les mineurs et leurs familles souffrent de la faim et du froid. Des souscriptions en leur faveur sont lancées dans tout le pays, et même à l’étranger, à Budapest et en Allemagne notamment ; des distributions de vivres sont organisées dans plusieurs localités du bassin. Les représentants des syndicats et ceux des compagnies, qui se rencontrent à plusieurs reprises à partir du 18 avril, n’arriveront jamais à un accord. Le travail reprend au début du mois de mai, après deux mois de grève et dans un climat d’amertume et de déception chez les ouvriers.

Car, en plus des 1 100 tués lors de la catastrophe, celle-ci laisse derrière elle 562 veuves, 1 133 orphelins et des dizaines d’invalides à vie. Tout le bassin est en deuil, d’autant que certaines familles ont perdu jusqu’à sept de leurs membres – un père et ses six fils. Les acquis du mouvement, quant à eux, seront faibles. Le patronat est resté ferme sur ses positions. Les « 8 francs – 8 heures » par jour réclamés par les syndicats, ne sont pas à l’ordre du jour pour les mineurs qui ne prendront pas part, cette année-là, au fameux 1er mai de la CGT – journée de grève générale nationale pour l’obtention de la journée de 8 heures pour tous. La corporation, pourtant puissante, est vaincue pour plusieurs années.

Diana Cooper-Richet
centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines
université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines

Pour aller plus loin

Les Archives nationales du monde du travail (ANMT) à Roubaix conservent les fonds des compagnies minières et mettent en ligne les dossiers professionnels numérisés des mineurs de fond

Source: Commemorations Collection 2006

Liens