Page d'histoire : Guillevic Carnac, 5 août 1907 - Paris, 19 mars 1997

Le poème
Nous met au monde

Art Poétique

La première saisie de l’être et des choses offerte à Guillevic (1) fut celle du silence, de la présence des alignements des mégalithes de Carnac où, nous dit-il : « il apprit à marcher ». Marqué à vie par sa naissance en ce lieu de préhistoire qu’il va célébrer dans Carnac où, après Terraqué, s’ouvre et souffle toute l’ampleur de sa voix, Guillevic entre en poésie dès son enfance, hanté par l’injonction de faire entendre l’écho d’un langage originaire.

Tout vient d’ailleurs,
De plus ancien que lui,
De plus enraciné,

Apporte les étapes,
L’origine parfois.

Inclus

Malgré une longue et absorbante carrière dans l’administration, un engagement jamais démenti dans divers secteurs sociaux et culturels (défenseur des droits juridiques et sociaux de l’écrivain, ambassadeur de la poésie française, entretiens dans les revues, à la radio et à la télévision, important travail de traducteur, président de l’Académie Mallarmé), c’est à « vivre en poésie » que Guillevic se consacre jusqu’à son dernier souffle. Ainsi écrit-il le 1er janvier 1995 :

La poésie, c’est la recherche
Passionnelle et comblée 

De quelque chose que l’on sait
Ne jamais atteindre.

Présent

Marquée au cours des années cinquante par un esprit militant, son oeuvre s’en dégage et se caractérise par une exemplaire liberté créatrice. Elle s’épure jusqu’à devenir « sculpture du silence ». S’exerçant à « tout rendre concret, palpable » dans un univers, pour lui, sans hiérarchie, Guillevic est avant tout habité par la nécessité intérieure, non pas de se dire ou de dire le monde, mais d’en inscrire l’équation dans un langage qui pénètre et révèle l’instantané insaisissable de l’être au coeur de l’immuable de la matière. Préceltique et héraclitéen, il appartient aussi à l’avenir post-quantique dans sa quête d’un « monde [qui] se résume sans se réduire » ainsi qu’il le dit à la femme aimée (Trouées). Qu’il dialogue avec la pierre, la mer, l’arbre, l’herbe, ou l’étoile, Guillevic creuse en lui à la recherche de l’essence du sacré. Il en renouvelle la notion tout en conjuguant humour et rigueur mathématique pour mieux cerner l’indéterminé.

Illustrée par Jean Dubuffet, Fernand Léger, Alfred Manessier, Jean Bazaine et tant d’autres, traduite en plus de cinquante langues, son oeuvre est mise en musique par un nombre croissant de compositeurs.

Monique Chefdor
agrégée d’anglais
docteur de littérature française et comparée

1. Eugène Guillevic a signé son oeuvre de son patronyme.

Source: Commemorations Collection 2007

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