Page d'histoire : Pierre Dreyfus Paris, 18 novembre 1907 - Paris, 25 décembre 1994

Né en 1907, à Paris XVIe, Pierre Dreyfus est le fils d’un banquier qui a fait fortune en Amérique centrale. Son père l’envoie à 18 ans faire un stage à la City de Londres. Mais s’il garde de son père un intérêt constant pour la vie des affaires, il donne à sa vie une perspective différente : sa carrière (après une brève expérience dans le négoce, qui lui est insupportable) est fondamentalement liée à l’État et orientée par des convictions socialistes.

Ses études au lycée Janson-de-Sailly puis à la faculté de droit de Paris débouchent à la fois sur une thèse de « sciences politiques et économiques » consacrée, en pleine crise des années 1930, au pouvoir d’achat des classes ouvrières et sur un engagement au sein du groupe des jeunes réformateurs planistes de la SFIO : Révolution constructive, aux côtés notamment de son ami d’enfance Claude Lévi-Strauss et de Georges Lefranc.

La première partie de sa vie professionnelle se déroule dans la haute administration. En 1935 il entre à l’Institut scientifique de recherches économiques et sociales, puis passe au ministère du Commerce et de l’Industrie, où il est bientôt nommé conseiller technique à l’inspection de l’économie nationale. À 28 ans le voici qui commence une longue carrière dans les cabinets ministériels : en 1937 attaché au cabinet de Georges Bonnet, ministre (radical) des Finances, il devient, en 1938, directeur-adjoint du cabinet de celui-ci au Commerce et à l’Industrie. Après-guerre on le retrouve directeur de cabinet de Robert Lacoste, ministre de l’Industrie et du Commerce, de 1947 à 1949 et, en 1954, directeur de cabinet de Maurice Bourgès-Maunoury, ministre (radical) au même poste. Entre-temps il subit une terrible épreuve : le statut des Juifs édicté par Vichy le chasse de la fonction publique de décembre 1940 à octobre 1944. Il devient alors paysan dans le Lot et participe à la Résistance.

La seconde partie de sa carrière le met au service de la croissance économique et de l’industrie. De 1950 à 1955 le voici président des Houillères nationalisées de Lorraine, où il rénove la stratégie, joue la concertation sociale et, comme président de la commission de l’Énergie du IIe Plan, réfléchit au monde du pétrole. En 1955, suite à la mort accidentelle de Pierre Lefaucheux, premier PDG de la Régie Renault, dont il vice-présidait le conseil d’administration, plébiscité par les cadres, il lui succède jusqu’à sa retraite en 1975.

Chez Renault il est un grand patron, stratège et novateur, ouvert sur l’Europe et le monde. Sa politique de produits convertit l’entreprise à la traction avant et construit peu à peu une gamme complète de voitures sur le modèle de General Motors. La première étape en est la Renault 4, que P. Dreyfus conçoit comme l’équivalent du blue-jeans. Pour financer la croissance internationale il crée deux holdings en Suisse puis en France. Pour faire accepter les gains de productivité au personnel il accorde la 3e semaine de congés payés (1955) et la 4e semaine (1962), qui manque lui coûter son poste. Pour renforcer la position de la France il conclut et anime une association entre Renault et la firme privée Peugeot (1966-1974). Cette réussite, qui lui permet aussi de créer une collection pionnière d’art contemporain, a cependant quelques revers : l’échec final de la percée aux États-Unis (1960), les tensions sociales récurrentes de 1968 à 1973, les insuccès de la politique menée en matière de poids lourds.

La troisième partie de sa carrière le ramène au sommet de l’État. Un mois conseiller auprès du président de la République, François Mitterrand, en 1981, il est ministre de l’Industrie pendant la période des nationalisations de la gauche unie 1981-1982. Ministre technicien nommé pour rassurer les patrons et les marchés, aidé par un directeur de cabinet puissant, Loïk Le Floch-Prigent, il impulse l’adaptation de l’industrie française, mais il ne parvient pas toujours à convaincre les politiques purs qui règnent à Matignon, Rivoli et l’Élysée. En 1982, il redevient chargé de mission à l’Élysée, où il exerce une influence  discrète.

Il meurt à 87 ans, le 25 décembre 1994.

Marié en 1936 à la psychanalyste Laure Ullmo, Pierre Dreyfus est resté un intellectuel tout au long de son parcours, passionné d’archéologie, orienté à la fois par le goût de l’histoire et le désir constant de détecter les tendances de la société de demain.

 

Patrick Fridenson
directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales
centre de recherches historiques

Source: Commemorations Collection 2007

Liens