Page d'histoire : Bernard Le Bovier de Fontenelle Rouen, 11 février 1657 - Paris, 9 janvier 1757

Portrait par Louis Galloche
huile sur toile, 1723
Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon
© RMN/Gérard Blot

Le souvenir de Fontenelle paraît aujourd’hui s’estomper. Il reste l’image d’un bel esprit, qui fit maints bons mots, que l’on répète encore, et composa les amusants Entretiens sur la pluralité des mondes. C’est peu, et l’écrivain fut tout autre chose.

Neveu des illustres Pierre et Thomas Corneille, il fut, comme tous les garçons de sa famille, éduqué au prestigieux collège de jésuites de Rouen. Dès sa première jeunesse, il se voua dans le Mercure galant (que dirigeait son oncle Thomas aux côtés de Jean Donneau de Visé) à la poésie de salon, et il composa les Lettres du Chevalier d’Her... (ou Lettres galantes), publiées en 1683 et en 1687, et emplies de tous les charmes et de tous les clichés de la littérature mondaine du temps mais, en 1683, il donna aussi des Nouveaux Dialogues des Morts où, dans une forme paradoxale, voire épigrammatique, se retrouvent un scepticisme systématique et une vision fort sombre de la société et de l’humanité.

Ce fut son premier succès. Suivirent les Entretiens sur la pluralité des mondes habités, qui offraient l’un des premiers exemples de la vulgarisation plaisante, qui fut si répandue au XVIIIe siècle. L’astronomie de Descartes y devient un prétexte à des madrigaux fleuris et à des réflexions souvent désabusées. Au même moment, il adaptait dans un français limpide et élégant l’Histoire des Oracles du savant hollandais Van Dale, qui lui donna une fâcheuse réputation de mécréant. Puis ce furent les Poésies pastorales, et il s’engagea aux côtés des Modernes dans leur combat contre Boileau, Racine et les gloires de Versailles dans le Discours sur la nature de l’églogue et la Digression sur les Anciens et les Modernes, publiés avec les Pastorales en 1688. Il fit alors jouer deux opéras, Thétis et Pélée (1689), qui eut le plus brillant succès, et Énée et Lavinie (1690), qui échoua.

Tout cela le conduisit à l’Académie française, où il fut reçu en 1691. Une première carrière s’achevait, celle du bel esprit, qui fut caricaturé par La Bruyère sous le nom de Cydias. Il ne revint à la littérature que rarement et, semble-t-il, par caprice ou pour tenter des expériences : ce furent les comédies qu’il composa sans songer à les faire jouer, des poésies de circonstances, et les oeuvres théâtrales ou romanesques, pour lesquelles il aida Catherine Bernard.

En fait, les belles-lettres le fascinaient bien moins que les sciences et la philosophie. Il devint en 1697 secrétaire de l’Académie des Sciences et fut ainsi amené pendant plus de quarante ans à rendre claires pour tous, et s’il se peut attrayantes, les recherches des grands savants européens. En même temps, il se vouait au calcul infinitésimal, publiant en 1727 les Éléments de la géométrie de l’infini et, contre les newtoniens, il s’attachait à défendre la physique cartésienne  dans la Théorie des Tourbillons (1752). Il devenait l’interlocuteur, et peut-être le rival, de Leibniz et de Newton. L’une des gloires de l’Europe savante. Dans ses dernières années, il préparait un traité « de la connaissance de l’esprit humain »... Bien loin du pyrrhonisme et de la nonchalance de ses premières oeuvres, il se faisait l’adepte d’une nouvelle philosophie, où se réconciliaient la méthode cartésienne et l’empirisme de la scolastique.

Ajoutons que sous la Régence il rédigea des discours pour Philippe d’Orléans et pour le cardinal Dubois, dont il fut le confident, et que selon toute vraisemblance il faut lui attribuer plusieurs manuscrits clandestins, où s’affiche le plus franc matérialisme.

Une vie exemplaire... Un esprit universel... Le plus admirable chez Fontenelle ne doit pas se chercher dans ses ouvrages littéraires, mais dans tout ce qu’il fit pour la science, dans son long combat pour la vérité, et dans les hypothèses ou les apories métaphysiques auxquelles il fut conduit.

Son secret - comme l’avait jadis suggéré Jacques Roger - se découvre peut-être dans cette « lettre galante », où l’on voit des jeunes gens à la mode se travestir en paladins pour un bal masqué, et renoncer finalement à ce divertissement. Cela ne signifie pas seulement l’enterrement des valeurs épiques et romanesques. Cela pourrait également impliquer que le plus excitant (en tout cas pour le véritable intellectuel) est de comprendre les choses, et qu’une fois qu’on les a comprises, on n’a plus le besoin ni l’envie de s’y appliquer.

Alain Niderst
professeur honoraire de l’université de Rouen 

Source: Commemorations Collection 2007

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