Page d'histoire : Édit du roi portant création d'offices de médecins et chirurgiens des armées du roi Janvier 1708

Michel Chamillard, secrétaire d’État de la guerre et contrôleur général des finances,
fondateur « du Service de santé des armées »
Paris, BnF, cabinet des médailles
© cliché BnF

La préoccupation du pouvoir royal pour les militaires blessés au combat remonte bien en deçà de l’année 1708. La grande figure d’Ambroise Paré, au XVIe siècle, illustre déjà la mission du médecin à la suite des troupes et, dès 1629, le code Michau s’est efforcé de bâtir un cadre médical militaire stable en demandant la création d’un hôpital dans chaque armée. L’organisation et l’entretien de ces premiers « hôpitaux militaires », ont fait partie, dès lors, des attributions normales des secrétaires d’État de la guerre : Vauban en construisit dans chacune de ses citadelles, et l’un des commis des bureaux de la Guerre sous le règne de Louis XIV était, à l’image de Jean- François Fumeron en 1705, officiellement chargé « des hôpitaux de places et de la suitte des armées, et de leurs équipages », ainsi que « des médecins, chirurgiens, controlleurs et autres employez dans les hôpitaux ». La guerre de succession d’Espagne (1701-1713), toutefois, provoqua une série de mesures nouvelles dans l’administration militaire. En matière de santé, il est permis de penser que la durée des hostilités et la succession de batailles sanglantes avaient multiplié le nombre de soldats blessés et contribué à une nouvelle prise de conscience de la nécessité de les soigner, alors même que le recrutement se faisait chaque année plus difficile. Mais c’est sans doute plus pour combler les déficits de la campagne en cours que pour venir en aide aux soldats mourants que Michel Chamillart, qui cumulait depuis 1701 le département de la guerre et le contrôle général des finances, créa en décembre 1703 deux charges de « directeurs généraux des vivres, étapes, fourrages et lits d’hôpitaux ». La crise financière que traversait la monarchie imposait de trouver des sources nouvelles de revenus et la création d’offices, même si personne n’était dupe de son caractère artificiel, était l’une de ces sources.

L’« édit du roi portant création d’offices de conseillers de Sa Majesté, médecins et chirurgiens, inspecteurs généraux et majors à la suite des armées, dans tous les hôpitaux, villes-frontières et anciens régiments », donné à Versailles en janvier 1708, n’est pas autre chose, au premier regard, qu’une nouvelle mesure à portée financière qui vient, dans la collection de textes réglementaires du département de la Guerre, juste après l’édit de novembre 1707 « portant création des offices de lieutenants, greffiers et archers des maréchaussées », et juste avant celui de mars 1708 « portant création d’offices de l’artillerie ». Son préambule invoque certes des motifs charitables : « Les services importants que nos troupes nous rendent nous engageant de veiller à leur conservation et soulagement dans leurs maladies et blessures, nous avons cru ne le pouvoir faire d’une manière plus avantageuse pour elles qu’en établissant pour toujours à la suite de nos armées et dans les hôpitaux de nos places de guerre des médecins et chirurgiens généraux et particuliers en titre d’offices, qui  aient la capacité et l’expérience nécessaire pour bien panser et médicamenter les officiers et soldats ». Mais la  première conséquence du texte fut la mise sur le marché de 271 charges nouvelles – 4 médecins-inspecteurs  généraux, 50 médecins-majors pour les places, 4 chirurgiens inspecteurs généraux, 4 chirurgiens-majors des camps et armées, 209 chirurgiens majors dans les places et les unités –, valant chacune plusieurs dizaines de milliers de livres, et l’obligation probable faite aux titulaires de ces postes par commission de les acquérir.

Si l’aspect financier est indéniable, pourtant, l’examen du texte montre que ses rédacteurs, sans doute membres des bureaux de la Guerre, avaient conscience des réalités de la médecine aux armées, et s’efforcèrent de renforcer son poids et son efficacité. La hiérarchie adoptée entre médecins (ou chirurgiens) inspecteurs et praticiens à demeure dans les places ou les unités, l’exigence d’envois réguliers de procès-verbaux au département de la Guerre, le lien signalé avec intendants et commissaires des guerres correspondaient au mouvement de modernisation administrative qui marque la fin du XVIIe siècle. Afin d’écarter les charlatans, l’achat d’une charge nouvelle était soumis à l’approbation du premier médecin ou du premier chirurgien du roi, puis à l’agrément du secrétaire d’État de la guerre. Des privilèges, d’autre part, montraient la considération du pouvoir royal pour les membres de ce corps médical en puissance : les acquéreurs ne dérogeaient pas, étaient exemptés du logement des gens de guerre, bénéficiaient de facilités d’emprunt et d’un logement gratuit dans leur lieu d’exercice. Surtout, leur avenir après les hostilités était assuré : chacun d’entre eux pourrait exercer dans sa ville de résidence, ou dans tout autre lieu qu’il lui plairait, sans que la communauté des médecins en place puisse s’y opposer. Si l’on ajoute à cet ensemble de règles, avec D. Voldman (1), que l’édit de 1708 fournit la première liste détaillée d’hôpitaux militaires du royaume, il faut conclure qu’il fut bien, malgré lui peut-être, à l’origine d’un corps qui, trois siècles plus tard, sous le nom de Service de santé des armées, poursuit, dans ses hôpitaux ou sur le terrain, la même mission. Et ce n’est pas le moindre des paradoxes de voir qu’un texte pris dans l’urgence pour remplir les caisses désespérément vides de l’État, portait en lui les germes d’une administration qui sut, en trois cents ans d’existence, sauver une quantité innombrable de vies humaines.

Emmanuel Pénicaut
conservateur du patrimoine au service historique de la Défense

1. D. VOLDMAN, Les hôpitaux militaires dans l’espace sanitaire français (1708-1789), Paris, 1980.

Source: Commemorations Collection 2008

Thèmes :

Armée, Médecin

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